Percy Kemp
Jeune enquêteur talentueux de la Brigade Criminelle, le commissaire Nemo gravit allègrement les échelons et son avenir dans la Police s’annonce pour le moins radieux. Tout bascule cependant le jour où il s’insurge contre le fait que le monde ne lui soit jamais donné à voir qu’en réfraction, par médias et technologies interposés, le laissant avec l’impression de vivre
sa vie de seconde main. Commence alors pour lui une véritable descente aux enfers.
À travers l’histoire singulière d’un homme qui a perdu foi dans le système et qui est résolu à tout voir et tout expérimenter par lui-même, Percy Kemp nous livre une belle allégorie de notre postmodernité, dans laquelle le virtuel se substitue toujours plus au réel, les opinions à l’observation directe, et l’impératif de la communication au contenu de la transmission.
Farjallah Haïk
« Mon cher confrère, je viens de lire d’un trait L’Envers de Caïn. Vous avez écrit là un livre terriblement lucide, efficient et d’une qualité rare. C’est l’un des manuscrits les plus forts, les plus courageux et les plus authentiquement humains qu’il m’ait été donné de lire durant ma carrière de directeur de collections… Vous avez le sens, mieux, la divination de certaines profondeurs humaines insoupçonnées. »
Albert Camus
https://www.lorientlejour.com/article/1352022/farjallah-haik-enfin-retrouve.html
Farjallah Haïk
Illustration de couverture : Sur le sentier des Anémones, 2007, Joseph Mattar.
https://www.lorientlejour.com/article/1352022/farjallah-haik-enfin-retrouve.html
Farjallah Haïk
C’est le récit, à peine romancé, que le juge J… a laissé de sa vie. À sa mort, personne ne connaissait encore son drame intime.
Au sujet de Joumana, Gabriel Marcel, philosophe, dramaturge, critique littéraire français a écrit : « Le roman qu’on va lire est sans doute l’œuvre la plus riche de substance, la plus dense que l’auteur nous ait encore donnée. »
Illustration de couverture : Espoir (57,5 x 37 cm), 1994, Joseph Mattar.
https://www.lorientlejour.com/article/1352022/farjallah-haik-enfin-retrouve.html
Farjallah Haïk
-Si tu écartes les broussailles, tu vois beaucoup de choses, mais attention aux épines. Tu as souffert, tu souffriras ; mais tu souffriras davantage si tu veux essayer de ne plus souffrir. »
Illustration de couverture : Brodeuse, 2016, Joseph Mattar.
https://www.lorientlejour.com/article/1352022/farjallah-haik-enfin-retrouve.html
René Otayek
De part et d’autre, on semble ainsi avoir oublié que ces sociétés ont vu, dès la seconde moitié du XIXe siècle, émerger des figures féminines engagées dans la lutte pour les droits des femmes. Cette dynamique a été particulièrement forte au Levant, avec les combattantes hors du commun, musulmanes ou chrétiennes, que furent Houda Chaaraoui, Malak Hifni Nassif, Nabawiyya Musa, Marie Ajami, Zaynab Fawwaz, Maryana Marrach, May Ziadé, Afifa Karam. À ces pionnières a succédé une nouvelle génération de féministes levantines, comme Fadwa Touqan, Mai Masri, Nawal al-Saadaoui, Anbara Salam Khalidi, Laure Moghaizel et Jocelyne Saab, Nazik al-Abid et Nazik al-Malaika. L’Histoire a retenu les noms de certaines parmi elles, mais en a oublié bien d’autres.
Ce livre, le premier à proposer un aussi large éventail de biographies – seize au total –, se veut un rappel contre cette amnésie collective. Il est aussi un hommage à ces femmes libres qui ont bousculé l’ordre patriarcal au Levant.
Georgine Chaer Mallat
Un jour, grâce à un coup de pioche inespéré, il découvre un coffret en or ciselé et gravé de scènes de la vie de Béryte durant les Ve et VIe siècles dont l’ouverture révèle un manuscrit du poète Nonnus de Panopolis, élève de la célèbre École de Droit de Béryte et auteur des Dionysiaques. Sa lecture dévoile toutes les originalités de cette ville majeure de la Méditerranée orientale, dont la vie universitaire et estudiantine, les rencontres avec les jurisconsultes, les programmes d’études, les mœurs, les querelles politiques et religieuses, l’activité commerciale, les courses de chars extrêmement politisées, les thermes, les pratiques de la magie et de la sorcellerie.
Le manuscrit rappelle particulièrement la rencontre de Nonnus avec Calpurina, femme cultivée et influente qui tient un salon pour lettrés et dont il tombe amoureux. Dans une de ses lectures, Calpurina attaque les adeptes de la magie et de la sorcellerie, s’exposant ainsi à leur agressivité que Nonnus évoque avec une émotion empreinte de toute sa sensibilité poétique.
Tarek Mitri
It is almost needless to say that the future of Christians in the Arab world does not only depend on the contributions they are capable of, but also on the attention that fellow Muslim co-citizens may give to them. Christians deserve, but also need to be worthy of, an attention that is not condescending but motivated by the sense of common good, along with recognition of the wealth of religious and cultural plurality whose preservation could spare the Arab world the sad face of uniformity.”
L’auteur convient que cette réponse est différenciée, en fonction des pays, des cultures, des régimes politiques et des données démographiques. Mais il précise: "À travers les traumatismes, les déceptions et les incertitudes, il y a toujours eu une troisième voie en contraste avec le chemin choisi par ceux qui optent exclusivement pour un militantisme centré sur les minorités (l’alliance des minorités, NDLR), ou ceux qui choisissent le silence de la peur et de la résignation."
En gros, indépendamment d’une partie historique qui nous fait voyager à travers les empires, les civilisations, les langues et les communautés des deux derniers millénaires, l’ouvrage – qui regroupe un ensemble de conférences –, propose de transcender le statut de "minoritaire" et plaide, à cette fin, en faveur de la "réinvention" du "pacte de citoyenneté" passé à l’aube de l’histoire de l’islam (VIIᵉ siècle) entre chrétiens et musulmans, avant que le concept de "dhimmitude" ne soit modelé et qu’il n’ordonne les rapports avec les chrétiens en terre d’islam.
Enracinée dans le religieux, cette "réinvention" est également possible, selon Mitri, par le "ressaisissement" de l’esprit de la Nahda du début du XXᵉ siècle, comprise comme accession à la modernité séculière et avènement de la raison critique dans tous les domaines.
Une voie islamo-chrétienne
À ces deux voies, l’une religieuse, l’autre "civile", s’ajoute la voie islamo-chrétienne ouverte par la déclaration sur la fraternité humaine signée en 2019 à Abou Dhabi par le pape François et l’imam d’Al-Azhar, Ahmad el-Tayyeb. Omise par l’auteur, cette voie conforte en particulier l’option religieuse évoquée par l’ancien ministre, puisqu’elle propose très directement le renoncement au profit d’un pacte de citoyenneté, de la loi islamique "classique" qui veut que seuls les musulmans sont des citoyens à part entière d’une société islamique.
"Le concept de citoyenneté, affirme la Déclaration sur la fraternité humaine, se base sur l’égalité des droits et des devoirs à l’ombre de laquelle tous jouissent de la justice. C’est pourquoi il est nécessaire de s’engager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités (…)."
"Il va sans dire, nuance Tarek Mitri avec réalisme, que l’avenir des chrétiens dans le monde arabe ne dépend pas des contributions dont ils sont capables, mais aussi de l’attention que leurs compatriotes musulmans peuvent leur apporter. Les chrétiens méritent et ont aussi besoin d’une attention qui ne soit pas condescendance, mais conscience d’un bien commun, reconnaissance de la valeur religieuse et culturelle de la pluralité – dont la sauvegarde épargnerait au monde arabe le triste visage de l’uniformité."
Confiés en gage aux musulmans
Ces lignes sont centrales. À l’appui des propos de M. Mitri, il n’est pas inutile de rappeler qu’une grande figure religieuse chiite disparue, l’imam cheikh Mohammed Mehdi Chamseddine, avait assuré dans son livre Testament, que les musulmans du Liban doivent agir comme si les chrétiens étaient un gage qui leur est confié.
Dans cet ouvrage posthume publié par son fils et légataire spirituel et politique, Ibrahim Chamseddine, il avait avancé: "Je considère qu’il est de la responsabilité des arabes et des musulmans d’encourager, par tous les moyens, les chrétiens d’Orient à retrouver la plénitude de leur présence, de leur efficience et de leur rôle dans le pouvoir de décision et dans le cours de l’histoire; et qu’il existe un partenariat complet dans ce domaine entre les musulmans et les chrétiens, partout où ils pourront se trouver (…). Les instances intellectuelles, politiques et religieuses, les médias, les autorités du monde culturel devront insister, de toutes leurs forces, sur ce point."
Aujourd’hui, cheikh Abdel Latif Deriane, mufti de la République, avec son affirmation, "le Liban ne serait plus le Liban sans les chrétiens", ne dit pas autre chose.
Fin à la nostalgie de "l’unité arabe"
En tout état de cause, les ouvrages comme celui de Tarek Mitri devraient mettre définitivement fin à la nostalgie de "l’unité arabe", telle qu’elle subsiste inutilement chez certains. L’ouvrage est une critique en soi des idéologies unificatrices où se sont fourvoyés certains pays arabes qui, sous prétexte d’unité, ont cherché à abolir les particularités dans un seul creuset idéologique: le nassérisme et le baassisme en sont les meilleurs exemples. Le Liban a souffert et a perdu beaucoup de temps à cause de cette volonté infantile d’unité presse-bouton. Ne suffisait-il pas aux gouvernants d’unifier dans la justice? Devaient-ils uniformiser dans la sujétion?
En revanche, il n’est pas inutile de relever que la citoyenneté et l’aspiration à l’unité qui l’accompagne peuvent naître sous l’effet d’autres facteurs que le simple volontarisme politique. C’est ainsi qu’elle est apparue naturellement au Liban comme un épisode du "printemps arabe". Nous avons vécu – un bref moment – une prise de conscience pleinement citoyenne de notre identité libanaise, lors du soulèvement populaire de septembre 2019. Malheureusement, ces soulèvements se sont heurtés à des barrages idéologiques qui les ont bloqués. On peut s’en consoler en affirmant que la répression de ce "printemps" et celui des autres printemps arabes ne modifiera pas les bases politiques, culturelles et démographiques de leur apparition historique, et que cette promesse, un jour, sera enfin tenue. Un livre à fréquenter.
https://icibeyrouth.com/liban/330823
Nawaf Salam
Lebanon: from Past to Future first addresses the origins of the Lebanese predicament: sectarian domination, unfulfilled citizenship, and an unfinished state. It then moves to consider the roots and trajectories of the Lebanese war which commenced in 1975 and concluded with the Taif Accord in 1989. The author observes that while this accord succeeded in ending the armed conflict, the peace it brought about has remained fragile.
In response, Salam calls for the establishment of a “Third Republic”, founded on the precept of upholding the “Reason of institutions” over and above any other consideration. With inclusive citizenship and the rule of law as its cornerstones, he contends that this republic would enable the emergence of a civil, just, and effective state. At the forefront of the reforms that he advocates for is the implementation of the still outstanding provisions of the Taif Accord, in addition to filling the accord’s gaps and redressing its imbalances.
The author’s academic background and his long political and diplomatic experience greatly inform this book’s sober quest for means to save Lebanon from its current plight.
This Book was featured in NY Times article.
Farès Sassine
Ce présent volume réunit ses Lectures critiques parues dans L’Orient Express et dans L’Orient littéraire sans compter celles publiées dans d’autres supports, dont son fameux blog intitulé « Assassines », et de nombreux inédits.
On y trouvera avec bonheur son esprit d’analyse, son savoir encyclopédique, sa rigueur, mais aussi une certaine ironie.
Farès Sassine
Extrait de « Chute d’un président ou la révolution de septembre 1952 »
« Nous avons beau succomber sous les gravats, nous ne serons pas apprivoisés. Ni apprivoisés, ni serviles, ni monolithiques. C’est là notre différence, notre continuité... Il nous reste à nous instituer, au sens de nous produire ou continuer à nous produire dans ce qui a fait notre satisfaction et dont nous avons été volés, sans bien sûr oublier notre participation plus ou moins consciente à l’escroquerie. [...]
Le chemin est ardu, il ne mettra jamais fin aux contradictions, aux discussions, aux interrogations, aux doutes, à la pensée critique. Notre pays sera, comme toute société moderne, une société fragile et sereine avec des modèles universels incertains. Mais c’est le prix à payer par la liberté et l’indépendance, pour l’égalité, la
justice, la créativité et le bien vivre. »
Extrait de « Feuille de route, août 2020 »
Nada Chaoul
Percy Kemp, Extrait de la préface
Jabbour Douaihy
Empreint d’un irrésistible charme cosmopolite, ce formidable roman, le septième de l’auteur, distille le mystère tout en déployant une foisonnante chronique libanaise.
Abbas Beydoun
Najwa Barakat
Qui est finalement Monsieur N. ? Et qui est ce mystérieux Loqmane ? On ne le saura qu’à la fin de ce thriller psychologique dans lequel Najwa Barakat n’omet pas de dénoncer la violence et la corruption qui rongent le Liban depuis des décennies. Ce roman est certainement l’un des plus prenants et des plus ingénieux publiés ces dernières années en langue arabe…
Charif Majdalani
Sur les trésors à jamais perdus et sur la marche erratique de l’Histoire, Charif Majdalani signe un singulier roman d’aventures, aussi contemplatif et nostalgique que captivant, qui confronte le vain fracas humain à la bouleversante puissance de l’art et à l’immuable indifférence de la nature.
Nawaf Salam
Y sont d’abord traités les trois éléments constitutifs de ce système (communautés omnipotentes, citoyens empêchés, État inachevé), puis son évolution au cours de la guerre, entre 1975 et 1989, avant que l’accord de Taëf ne fasse taire les canons sans toutefois permettre au Liban de bâtir un État de droit. Pour y parvenir, l’auteur propose, en politologue et en juriste, plusieurs réformes vitales, dont l’une porte sur la loi électorale et l’autre sur la Constitution, tout en soulignant l’urgence d’autres réformes institutionnelles, économiques et sociales.
Appuyé à la fois sur une vaste documentation et sur une longue expérience politique, Le Liban d’hier à demain se place d’emblée au-dessus des polémiques courantes pour explorer les moyens d’une sortie de la crise par le haut. Avec la conviction, à la suite de Tocqueville, qu’“en matière de constitution sociale, le champ du possible est bien plus vaste que les hommes qui vivent dans chaque société ne se l’imaginent”.
Vénus Khoury-ghata
Dans cette quête, elle est encouragée et volontiers taquinée par son amie de toujours, Hélène, veuve partie mettre en vente la villa sur la Riviera dans laquelle est mort son époux, et qui trouve là une manière inattendue d’ensoleiller sa vie.
Ce roman aussi grave que fantasque, qui parle de mort, de solitude et de chagrin avec l’élégance de la légèreté, offre deux portraits de vieilles dames indignes délicieusement complices, bouleversantes et merveilleusement inspirantes.
Aïda Kanafani-zahar
Dans la presse:
- Le regard, le souffle et l’âme : anthropologie du mezzé
Charif Majdalani
Cette chronique de l’étouffement et de l’effondrement se trouve percutée le 4 août par l’explosion dans le port de la ville de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. Dès lors, elle devient le témoignage de la catastrophe et du sursaut, le portrait d’une cité stupéfiée par la violence de sa propre histoire, le récit de “destins jetés aux vents”.
Dans la presse:
- L’écrivain libanais Charif Majdalani écrit la catastrophe
- Charif Majdalani, chroniqueur du désastre
- Beyrouth : journal d'un effondrement
- "Beyrouth 2020. Journal d’un effondrement" de Charif Majdalani, une pierre à l’édifice branlant du Liban
- "Beyrouth 2020, Journal d'un effondrement" de Charif Majdalani
- Charif Majdalani chronique un Liban livré au chaos
- سَرد شريف مجدلاني
- "بيروت 2020" لشريف مجدلاني.. حين يغير "الانفجار" مسار الرواية
Alexandre Najjar
Bouleversé par cette catastrophe, Gaudens, écrivain confiné, se téléporte en Chine, au Japon, en France, au Liban, en Italie, en Iran, en Espagne et aux États-Unis pour nous restituer des scènes de la tragédie vécue dans ces huit pays.
Tour à tour lanceur d’alerte chinois opposé aux mensonges des autorités, passager britannique prisonnier d’un navire de luxe, enseignante parisienne bouleversée par la contamination de sa mère, étudiant en cinéma enfermé à Milan, jésuite libanais révolutionnaire, médecin iranien confronté à un cas de conscience, médecin-éditeur engagé et créatif à Madrid ou encore journaliste américain féru de théories complotistes, Gaudens nous offre un panorama mondial du premier acte de cette pandémie, avec gravité ou dérision, dans ce qu’il dévoile de l’homme, de nos sociétés et de nos dirigeants.
Alexandre Najjar
De Dublin à Paris, Alexandre Najjar retrace, dans un récit intime rédigé à la deuxième personne, la vie sentimentale de "Sam", écrivain séduisant et tourmenté qui admettait volontiers : "Il m’aurait fallu d’autres amours, peut-être. Mais l’amour, cela ne se commande pas."
Alexandre Najjar
Alexandre Najjar se met dans la peau de Beethoven, dont on fête en 2020 le 250 e anniversaire, pour nous livrer des confessions édifiantes qui nous révèlent la personnalité du grand compositeur et des pans méconnus de son existence.
Alexandre Et Ray Najjar
Un ouvrage qui passe en revue des sujets essentiels et donne à réfléchir dans un monde de plus en plus déshumanisé.
Ieva Saudargaité Douaihi
Beirut is thousands of years old. Its history leaks from its walls, breathes out of its soil, and is dissolved in the chaos of everyday life. The city still has beautiful remains regularly erased by the negligence of some and the real estate rampant appetite of others. Away from the Beirut of postcards, the city exposes itself unvarnished, without shame. Ieva Saudargaité Douaihi, a Beiruti born abroad, showcases a silent exploration of her city and its different corners. She dives into the intimacy of this constantly mutating urban body, explores its fertile interior, unearths its buried memory, discovers its hidden gardens, finds improbable apertures and surprising perspectives. The Beirut in Ieva Saudargaité Douaihi’s eyes is the incarnation, raw and bare, of what we make of our lives and our city. Because Beirut reflects our story.
Words by Dominique Eddé, Jad Tabet and Alexandre Medawar.
Ieva Saudargaité Douaihi
Ieva Saudargaité Douaihi, Beyrouthine née ailleurs, nous propose une exploration en silence de sa ville et de ses territoires. Elle plonge dans l’intimité de ce grand corps en mutation constante, ausculte son intériorité féconde, déterre sa mémoire enfouie, découvre ses jardins cachés, trouve des ouvertures improbables et des perspectives étonnantes. Ce Beyrouth de Ieva Saudargaité Douaihi est l’incarnation, crue et nue, de ce que nous faisons de notre ville et de nos vies. Car Beyrouth nous raconte.
Avec les textes de Dominique Eddé, Jad Tabet et Alexandre Medawar.
Ahmad Beydoun
Georgia Makhlouf
Le roman s'ouvre sur son second départ pour Haïti, après un mariage au Liban. Vincent a hâte de fonder une famille et de continuer à développer ses affaires à Port-au-Prince. Il est pourtant encore amoureux de l'admirable Louisa, Haïtienne de souche, qui a partagé sa vie pendant les quinze années de son premier séjour.
Georgia Makhlouf dessine la fresque familiale en donnant voix à chacun des protagonistes : Vincent, Louisa, Edma, Joseph, Fatek et Anis, chacun déployant sa version de l'histoire, son vécu, ses sentiments et sa part d'ombre, au coeur de la beauté envoûtante de l'île.
Si Vincent réussit son pari professionnel, la pérennité de tout ce qu'il a construit avec force et rudesse vacille au regard des événements. Il doit concilier ses deux vies, faire face à l'instabilité politique, à l'occupation américaine qui s'annonce et à la montée du sentiment anti-syrien, lui qui n'imagine pas un instant devoir quitter cette île qui est devenue sienne...
Dans ce roman fascinant, exil, identité, intégration et tensions raciales font écho aux questionnements du temps présent.
Samir Kassir
Ni une simple chronique ni un essai thématique, encore moins une œuvre polémique, le livre de Samir Kassir se distingue de l'abondante littérature disponible par une démarche historique centrée sur l'événement et ses significations. Reconstituant méthodiquement la chronologie, il en fournit, à chaque séquence, les différentes clés de lecture, recherchées dans la dynamique même de la société libanaise aussi bien que dans l'environnement régional, loin de toute généralisation et de tout anachronisme.
Samir Kassir :
Né à Beyrouth en 1960, Samir Kassir était éditorialiste au grand quotidien An-Nahar et professeur d’histoire contemporaine à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Il était parmi les premiers à déclarer ouvertement son opposition à l'hégémonie du régime syrien sur le Liban à travers ses éditoriaux et ses débats publics. Kassir était membre du Mouvement de la gauche démocratique dont il est le cofondateur. Il a été assassiné le 2 juin 2005 à Beyrouth, dans un attentat à la voiture piégée. Il est l’auteur de plusieurs livres parmi lesquels Histoire de Beyrouth (Fayard, 2003) et Liban, le printemps inachevé (édition posthume, Sindbad/Actes Sud, 2006).
Alaa El-aswany
Chacun incarne une facette de cette révolution qui marque un point de rupture, dans leur destinée et dans celle de leur pays. Espoir, désir, hypocrisie, répression, El Aswany assemble ici les pièces de l’histoire égyptienne récente, frappée au coin de la dictature, et convoque le souffle d’une révolution qui est aussi la sienne. À ce jour, ce roman est interdit de publication en Égypte.
Roman traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier
Alaa El Aswany
Né en 1957, Alaa El Aswany exerce le métier de dentiste dans le centre du Caire. Son roman L’Immeuble Yacoubian, porté à l’écran par Marwan Hamed et publié en France par Actes Sud (2006, et Babel n° 843), est devenu un phénomène éditorial international. Depuis le 25 janvier 2011, il est l’un des principaux relais de la révolution égyptienne auprès des médias français.Actes Sud a également publié ses romans Chicago (2007 ; Babel n° 941), J’aurais voulu être égyptien (2009 ; Babel n° 1004), et Automobile Club d'Egypte (2014) ; ainsi que son essai Chroniques égyptiennes (2011).
Mohamad Chenawy
Treize ans après son numéro 1, la revue Short trouve enfin une autre jambe. Ce numéro qui se voulait programmatique en ouvrant la voie à tous les possibles de la narration en bande dessinée (roman, fable, documentaire, adaptation littéraire…), est suivi aujourd’hui par un numéro spécial bande dessinée arabe.
Ce livre se veut le reflet de l’incroyable vitalité de ces auteurs du Liban, d’Égypte, de Jordanie, d’Irak, de Syrie, et d’Algérie, de Tunisie ou encore du Maroc apparus il y a une dizaine d’année et consolidé après “Les Printemps arabes”, en 2011.
Les publications de fanzine tels que Tok-Tok, Skefkef, Lab 619, Messaha... dévoile une production emblématique qui relaie les principales problématiques et les défis sociopolitiques auxquels est confrontée la jeunesse arabe. Les auteurs commence à être reconnue hors de ses frontières parce que certains, Libanais comme Mazen Kerbaj ou Zeina Abirached, “en exil” ou en résidence dans des pays européens ont publié des albums écrits en français ou en anglais (Freedom Hospital du Syrien Hamid Suleiman). Grâce aussi à la multiplication des festivals de bande dessinée (Festival Cairo-Comix depuis 2015), ils sont désormais reconnus par les acteurs et des experts de la bande dessinée du monde entier.
Khaled Khalifa
Juste avant de rendre son dernier souffle, Abdellatif a demandé à ses enfants, deux hommes et une femme, de l’enterrer dans son village natal, à proximité de la tombe de sa sœur. Testament des plus ordinaires, mais pas en Syrie où la guerre fait rage et où les routes sont disputées par des hommes en armes et de toutes obédiences, qui arrêtent, humilient, enlèvent ou tuent, en choisissant leurs victimes selon leurs appartenances politiques ou confessionnelles, mais aussi, tout simplement, en cherchant à les rançonner. Durant le voyage de Damas à ‘Anâbiyya, entassés avec le cadavre de leur père dans une vieille voiture, sous un soleil de plomb, les trois passagers subissent ensemble toutes ces épreuves, mais sont loin, très loin d’avoir la même détermination à respecter les dernières volontés du défunt, ou de partager la même vision de la vie et de la mort…
Avec son talent de conteur, et une pointe d’humour noir, Khaled Khalifa nous offre l’un des meilleurs romans inspirés jusqu’à présent par la tragédie syrienne.
Khaled Khalifa
Khaled Khalifa est né à Alep, Syrie, en 1964. Après des études à la faculté de droit, il s'est consacré à l'écriture. Scénariste réputé de plusieurs films et séries télévisées, fondateur d'une revue culturelle, Aleph, il a publié trois romans qui l'ont placé parmi les écrivains syriens les plus reconnus. Après une nomination en 2008 pour le prix du Roman arabe avec Eloge de la haine (Sindbad/Actes Sud, 2011), il a obtenu en 2013 le prestigieux prix Naguib Mahfouz à l'Université américaine du Caire pour Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville (Sindbad/Actes Sud, 2015).
David Mathews
Dans une réflexion globale sur les enjeux écologiques et les crises politiques engendrées par un néolibéralisme produisant toujours plus d’exclusion, de consumérisme et de pauvreté, il est intéressant de regarder de plus près les initiatives et les pratiques des communautés et citoyens qui sont en première ligne. Si de l’extérieur le système politique américain semble favoriser les libertés individuelles et publiques, l’influence des citoyens sur les processus de décision est de plus en plus limitée, souvent réduite aux moments électoraux et supplantée par les lobbys. Par ailleurs, les représentations que nous pourrions avoir, souvent marquées par la politique étrangère hégémonique et interventionniste de Washington, réduisent notre vision de la société américaine. Elles nous empêchent de prendre connaissance de la dynamique d'une société diversifiée et engagée. Aussi, la contribution de David Mathews dans le cadre des travaux de la Fondation est une opportunité de les dépasser. Il nous invite à poser un autre regard sur des gens ordinaires qui aspirent à reprendre en main le pouvoir citoyen qui leur a été confisqué.
David Mathews est historien et membre de la « Clarke County Historical Society ». Ancien président de l’Université de l’Alabama, il préside actuellement la Kettering Foundation, un organisme de recherche au sein duquel il a publié de nombreux ouvrages dont « Politics for people » qui a été traduit en huit langues.
Bien que non partisan, il a servi au sein du gouvernement de l’administration Ford où il occupa la fonction de Ministre de la santé, de l’éducation et des affaires sociales.
Elias Khoury
Dans cette nouvelle approche, après La Porte du soleil, de la Nakba palestinienne de 1948, Elias Khoury aborde des thèmes majeurs comme l’identité, la mémoire, le rapport du roman à l’histoire, mais il se pose surtout, en les croisant, cette question : comment restituer en littérature des crimes dont les victimes se sont murées dans le silence ? Il emprunte pour y répondre plusieurs masques, le dernier étant celui d’un témoin oculaire auquel Adam Dannoun, incapable de raconter lui-même l’épisode le plus monstrueux, demande de le relayer.
Traduit de l'arabe (Liban) par Rania Samara
Élias Khoury
Né à Beyrouth en 1948, Élias Khoury est actuellement rédacteur en chef de la Revue d’études palestiniennes (édition arabe) à Beyrouth. Critique littéraire, essayiste et chroniqueur, il est surtout l’auteur d’une dizaine de romans, dont La Porte du soleil qui a obtenu le plus grand prix littéraire palestinien et qui a été traduit dans plusieurs langues, dont l’anglais et l’hébreu.
Rachid El Daïf
Toutes ces femmes se comportent avec un courage exemplaire, défiant le machisme ambiant que la violence guerrière a exacerbé. Rachid el-Daïf leur rend hommage avec son talent habituel de conteur, sa langue souple qui ne s’interdit pas l’usage du parler libanais et un humour discret qui allège le pathétique des situations.
Traduit de l'arabe (Liban) par Lotfi Nia
Rachid El-Daïf
Né au Liban en 1945, Rachid El-Daïf enseigne la littérature arabe à l'université libano-américaine de Beyrouth. Il est l'auteur de deux recueils de poèmes et d'une douzaine de romans.
Samir FrangiÉ
Marwan Hamadé
Samir Frangié
Journaliste et chercheur, Samir Frangié a collaboré à plusieurs journaux au Liban (L’Orient-Le Jour, As-Safir et An-Nahar) et en France (Le Monde diplomatique, Africasie) et a participé à la création de plusieurs centres de recherches, dont les Fiches du monde arabe et The Lebanese Studies Foundation. Engagé dans l’action politique, il a fait partie, durant la guerre libanaise, du Mouvement national, puis a participé à la création du Congrès permanent du dialogue libanais et de la “Rencontre libanaise pour le dialogue” consacrée au dialogue islamo-chrétien. Membre fondateur du Regroupement de Kornet Chahwane, il a contribué à jeter les bases de l’opposition plurielle au nom de laquelle il annoncera, en 2005, “l’intifada de l’indépendance” qui conduira au retrait des troupes syriennes du Liban. Samir Frangié est décédé en avril 2017 des suites d’une longue maladie.
Bachir El-khoury
Établir un lien entre les causes du “printemps arabe” et celles de l’“hiver islamiste”, ou entre la permanence du djihadisme et la survie des régimes en place, peut paraître d’autant plus hasardeux. Pourtant, ce lien existe. Il réside dans les profondeurs socioéconomiques des sociétés arabes.
Démographie galopante, structures rentières, inégalités criantes, chômage massif, corruption généralisée, insécurité alimentaire, désertification et stress hydrique : Bachir El-Khoury explore dans cet essai, chiffres à l’appui, les racines du mal qui ravage les sociétés arabes depuis plus d’un demi-siècle, réfutant au passage les interprétations culturalistes en vogue aussi bien en Occident qu’au sein même de ces sociétés.
Bachir el-Khoury
Journaliste et ancien responsable du service économique au quotidien libanais L’Orient-Le Jour, Bachir El-Khoury a animé le blog “Économies et Révolutions” entre 2013 et 2015. Diplômé en économie de l’Université américaine de Beyrouth, il a également travaillé pour le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et enseigne à l’université Saint-Joseph de Beyrouth.
Jabbour Douaihy
Traduit de l'arabe (Liban) par Stéphanie Dujols
Jabbour Douaihy
Jabbour Douaihy est né en 1949, à Zhgarta (Liban Nord). Professeur de littérature française à l’Université libanaise de Tripoli, traducteur et critique à L’Orient littéraire, il compte parmi les grands acteurs culturels du pays. De 1995 à 1998, il participe aux côtés de Samir Kassir à l'aventure éditoriale de L'Orient-Express. Plusieurs de ses romans sont déjà traduits en français dont Saint Georges regardait ailleurs (2013) et Quartier américain (2015), tous deux parus aux editions Actes Sud/L’Orient des Livres.
Voici un roman libanais qui ne correspond en rien aux stéréotypes des Européens sur la littérature moyen-orientale. On n’y trouve ni réminiscences de la guerre, ni questions religieuses, ni problématiques communautaires. Il s’agit de raconter, à partir de 1914, l’histoire de Beyrouth à travers celle d’une imprimerie. Mais il s’agit aussi d’interroger la posture de l’écrivain contemporain, en faisant rire.
Dès les premières lignes, l’humour et l’alacrité de Jabbour Douaihy s’imposent. Le patronyme de son héros donne le ton. Il s’appelle Farid Abou Chaar – ce qui, comme l’explique la traductrice Stéphanie Dujols, signifie en arabe « l’unique » (farid) et « le chevelu » (abou chaar). Abou Chaar, la trentaine, se prend pour un écrivain. Lorsqu’on fait sa connaissance, il saute d’un autobus et s’élance vers une maison d’édition, serrant sur son cœur un épais cahier à reliure rouge : son manuscrit. Un livre, son premier certes, mais dans lequel il a mis « toute la substance de son être ! ». D’ailleurs, son œuvre est si merveilleusement pleine et parfaite qu’il l’a tout simplement intitulée Le Livre. En couverture, il a pensé à La Création d’Adam, de Michel-Ange, l’index de Dieu pointant vers la dédicace, la seule possible : « A Moi »…
Hélas, lorsqu’il fait le tour des éditeurs beyrouthins, « le Chevelu » n’essuie que des refus. Cette incompréhension le mine tellement qu’il accepte, en désespoir de cause, un emploi de correcteur à l’imprimerie Karam. Il ignore ce qui l’attend là-bas. Un destin mille fois plus rocambolesque que toutes les trames romanesques auxquelles il aurait jamais pu songer.
Invraisemblable imbroglio
Né au Liban en 1949, Jabbour Douaihy est l’un des meilleurs romanciers arabophones de sa génération. Après Rose Fountain Motel, Pluie de juin (nominé pour le Booker Prize arabe), Saint Georges regardait ailleurs (Prix du roman arabe) et Le Quartier américain (Actes Sud, 2009, 2010, 2013, 2015), c’est une parodie de polar qu’il offre ici. A peine embauché, Abou Chaar fait la connaissance de la sublime Perséphone – la femme du patron – dont le prénom annonce à lui seul sa descente aux enfers. Hormis un rendez-vous mensuel avec de vieilles amies de lycée – « leurs mariages étaient ratés, leurs rires retentissants » –, « Perso » s’ennuie tellement que, pour tromper son ennui, elle se nourrit de romans hérités de son père. Des volumes de la « Série noire » qui vont bientôt faire écho à l’invraisemblable imbroglio où est pris Abou Chaar lorsque Perséphone fait imprimer un exemplaire unique de son précieux manuscrit…
« Le monde produit un génie tous les cent ans. Il y a eu Khalil Gibran au début du siècle, ce sera bientôt le tour de ce garçon. » Lorsqu’il veut se remonter le moral, Abou Chaar se remémore cette phrase de son grand-père vantant ses mérites à venir. C’est cette conception prophétique de l’écriture que Douaihy tourne ici en dérision. Les temps ont changé, nous dit ce grand érudit, et, avec eux, le monde de l’édition. Quiconque s’aviserait aujourd’hui d’écrire comme Gibran (1883-1931, le Victor Hugo libanais) pour délivrer vérité et sagesse ne serait qu’un précieux ridicule. Sans doute est-ce la conclusion à laquelle l’écrivain est lui-même arrivé à presque 70 ans. Mais il choisit pour le dire la façon la plus élégante qui soit. Un faux polar, plus profond qu’il n’y paraît, célébrant avec drôlerie l’odeur de l’encre, la forme des caractères arabes, la calligraphie. Bref, la beauté – vraiment « unique » cette fois – de tout texte imprimé.
Le Manuscrit de Beyrouth (Tabae fi Bayrut), de Jabbour Douaihy, traduit de l’arabe (Liban) par Stéphanie Dujols, Actes Sud, « Sinbad »-L’Orient des livres, 240 p., 21,80 €.
Fawwaz Traboulsi
Traduit de l’arabe (Liban) par Nathalie Bontemps et Marianne Babut
Fawwaz Traboulsi
Professeur associé à l'université libano-américaine de Beyrouth, Fawwaz Traboulsi a publié une dizaine de livres dont A History of Modern Lebanon (Pluto Press, 2007), et traduit des œuvres de Karl Marx, d'Antonio Gramsci, d'Isaac Deutscher et d'Edward Said.
Youssef Mouawad
Youssef Mouawad nous donne ici les éléments d’un parcours. Même s’il existe des velléités de protection française à partir de Louis XIV, ce n’est que dans la tourmente qui suit la fin de l’émirat de la Montagne après 1841 que se construit en réalité la relation franco-maronite.
Henry Laurens
Extrait de la Préface
Youssef Mouawad
Youssef Mouawad est avocat et historien. Chargé de cours (Business Law, Public International Law, Laws of War) à la LAU, à l’AUB et à la NDU, il est l’auteur de plusieurs ouvrages juridiques et historiques, ainsi que d’un recueil d’articles, Sextant égaré, paru en 2016 aux éditions L’Orient des Livres.
Noha Baz
Témoignages et recettes agrémentés de photos savoureuses se succèdent dans cet ouvrage qui fera le bonheur de tous les gourmets.
Préface de Salah Stétié
Noha Baz
Pédiatre de formation, analyste gastronomique, Noha Baz est diplômée en hautes études du Goût et de la Gastronomie de l’Université de Reims (DUGGAT 2009).
Roger Assaf
Depuis, sur des scènes multiples, des hommes et des femmes me regardent, me parlent, me touchent et m’interrogent. Ils sont vivants, alors que les grands rois et les grands capitaines sont des statues figées dont l’ombre n’est guère plus grande que celle de leur tombe, et dont la « gloire » ne dépasse pas celle d’un chapitre révolu. Cette « non-Histoire » du Théâtre est celle que racontent les « spectateurs » de tous les temps, mes semblables.
Roger Assaf
Comédien et metteur en scène libanais, Roger Assaf est considéré comme l’un des plus importants animateurs d’un théâtre arabe socialement et politiquement engagé. Professeur d’art dramatique depuis 1976, il crée la troupe « Al Hakawâti ». Se basant sur un travail d’investigation de la mémoire collective liée aux guerres qui se sont succédé au Liban et sur une assimilation des formes et des techniques du conteur arabe, ses spectacles ont renouvelé les rapports du public populaire et intellectuel arabe avec le langage dramatique. Dans le désarroi de l’après-guerre et de la paix incertaine, la scène devient un lieu d’interrogation inquiète sur l’impossible et nécessaire dialogue entre les hommes et les communautés. En 1999, il fonde l’Association SHAMS qui regroupe de jeunes créateurs libanais dans un projet coopératif d’animation culturelle. Roger Assaf prône la recherche d’un théâtre « organique » lié à l’imaginaire collectif et qui soit « producteur de savoir et non de pouvoir ».
Chérif Khaznadar
Youssef Mouawad
Extrait de l’avant propos
Youssef Mouawad
Youssef Mouawad est avocat et historien. Chargé de cours (Business Law, Public International Law, Laws of War) à la LAU, à l’AUB et à la NDU, il est l’auteur de plusieurs ouvrages juridiques et historiques.
Khaled Khalifa
Défilent ensuite les autres membres de la famille que le narrateur – né le 8 mars 1963, le jour même du coup d’État du parti Baath – a observés en voyeur taciturne : son oncle maternel, mélomane homosexuel ; son frère aîné, qui s’engage en 2003 dans le djihad contre les Américains en Irak ; et surtout sa sœur Sawsan, qui refuse de revivre la triste existence de sa mère mais se fourvoie à son tour. Amoureuse d’un officier, elle s’enrôle dans le régiment des parachutistes, parade en femme d’influence, avant d’être rejetée avec mépris par son protecteur, lui-même tombé en disgrâce. Signe des temps, elle cherche sa rédemption dans la bigoterie…
Comme dans son précédent roman, Khaled Khalifa explore la vie d’une famille syrienne ballottée par l’histoire. Il restitue à travers elle les moments les plus douloureux des cinquante dernières années, marquées autant par la répression policière et la corruption que par les peurs et les méfiances communautaires, le fanatisme religieux et une profonde crise morale.
Traduit de l'arabe (Syrie) par : Rania Samara
Khaled Khalifa est né à Alep, Syrie, en 1964. Après des études à la faculté de droit, il s'est consacré à l'écriture. Scénariste réputé de plusieurs films et séries télévisées, fondateur d'une revue culturelle, Aleph, il a publié trois romans qui l'ont placé parmi les écrivains syriens les plus reconnus. Après une nomination en 2008 pour le prix du Roman arabe avec Éloge de la haine (Sindbad/Actes Sud, 2011), il a obtenu en 2013 le prestigieux prix Naguib Mahfouz à l'Université américaine du Caire pour Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville.
Alexandre Najjar
Nicolas Chevereau
La poésie est sans doute le genre littéraire qui convient le mieux au sentiment amoureux. Et l'amour se trouve toujours magnifié, sublimé, par l’expression poétique. Mais écrire des poèmes d’amour n’est pas chose aisée. Il faut éviter les redites, aller droit au cœur du lecteur, sans circonvolutions ni sensiblerie. Mis en musique, les poèmes se transfigurent, deviennent plus aériens, plus insaisissables, plus touchants aussi. Portés par les mélodies du talentueux Nicolas Chevereau, ces textes, simplifiés et rythmés pour être mieux chantés, sont des odes pour rendre gloire à l’Amour et à l’être aimé.
Alexandre Najjar
Ces Six chants d’amour, dans leur version orchestrale, ont été interprétés pour la première fois le 18 mars 2016 en l’église Saint-Joseph des pères jésuites à Beyrouth par la soprano Clémentine Decouture, accompagnée de l’Orchestre philharmonique du Liban dirigé par Harout Fazlian.
Abdo Wazen
Mémoires intimes, méditations métaphysiques, quête spirituelle, À cœur ouvert est tout cela à la fois, dans une langue limpide, élégamment transposée en français.
Traduit de l’arabe (Liban) par Madona Ayoub
Abdo Wazen
Né en 1957, à Dekwaneh, dans la banlieue de Beyrouth, Abdo Wazen est journaliste depuis 1979. Il dirige actuellement les pages culturelles du grand quotidien arabe de Londres, Al-Hayat. Connu surtout comme poète, il a publié une dizaine de recueils et de récits à la veine poétique, qui l’ont placé parmi les écrivains libanais les plus originaux de sa génération. Ont paru en français : une anthologie de ses poèmes, sous le titre La Lampe de la discorde (La Différence, 2010) et, chez Actes Sud, ses Entretiens sur la poésie avec Mahmoud Darwich (2006).
Amal Makarem
Amal Makarem
Amal Makarem avait une vingtaine d’années quand la guerre civile libanaise (1975-1990) a éclaté. Elle a toujours été une activiste des droits de l’homme. Dans cet esprit, elle a créé et dirigé de 1994 à 1999 Houkouk el-nass, un supplément juridique du quotidien libanais An-nahar. À partir de 2001, elle a présidé l'association “Mémoire pour l'avenir” créée avec un groupe d'intellectuels de tous bords, dans le but de favoriser la réconciliation entre les Libanais, à travers un travail de mémoire concernant la guerre civile. Dans le cadre de cette action, elle a concentré ses recherches sur la question de la répétition.
Rare, cet ouvrage l’est aussi d’un point de vue subjectif, en ceci qu’il raconte le destin fusionnel d’une vie et d’un pays. Informée au jour le jour, dotée d’une grande lucidité politique, obsédée par le besoin de comprendre, à défaut de pouvoir agir, incapable de s’abstraire du destin collectif, l’auteure de ces pages tourne obstinément autour des lieux du crime. Elle prend note, elle analyse, elle baisse les bras, recommence. Quand elle n’écrit pas, son effort ne faiblit pas. Elle veut savoir d’où viennent les divisions, ce qui les fomente, ce qui les attise, comment se font, comment se défont les alliances, la part du complot, la part de l’histoire, la part de l’absurde. Le 7 mai 75, elle écrit : « Chaque jour qui passe renforce le lien entre tragédie et dérision. » Durant les mois, les années qui suivent, elle va et vient de l’une à l’autre. En toile de fond sa famille et le milieu druze de Ras el-Metn. Liée à l’une comme à l’autre, elle n’en défend pas moins vis-à-vis des deux une indépendance sans concession. Cette lutte contre la convention, qui fait partie intégrante de son rapport au pays, confère à son journal une portée supplémentaire. Car ce journal est avant tout celui d’une femme qui se bat – et à quel prix – pour conquérir sa liberté et la garder, dans un monde décidé par les hommes. Venant d’une « culture fondée plus que toute autre sur le secret », Amal Makarem prive parfois son lecteur de visibilité pour ce qui la concerne, elle « consent avec difficulté », pour reprendre ses propres mots, à livrer sa part « d’intimité ». D’un autre côté, cette pudeur ou ce manque font partie du témoignage, de sa personnalité. Derrière la veine tragique du texte, se profile son père ; derrière l’humour, sa mère. Les deux veines réunies donnent ceci : « Un homme a tiré deux coups de feu de son balcon sur un marchand ambulant de cassettes de musique, qui s’était arrêté au bas de son immeuble. Son haut-parleur diffusait une chanson à plein volume. Ce n’est que lorsque sa charrette a été pulvérisée qu’on a découvert qu’il était sourd-muet. » Ou encore : « La femme d’un député qui a fui à Paris, sous le choc d’un bombardement de son quartier, est décédée le lendemain de son arrivée, écrasée par une ambulance. » Le beau personnage de sa grand-mère est le coin de paix, le temps préservé, de ce journal de guerre : « Assise parmi les pommiers, face à Jabal Sannine, grand-mère, comme chaque matin, reçoit des visites sur son canapé usé. » S’enchaînent, à partir d’elle, des portraits, des situations, des conversations qui sont, à mes yeux, les meilleurs moments du journal et des documents pour l’histoire. Paradis infernal est peuplé de malheurs et d’atrocités, d’un côté – qui a perdu la vie, la raison, un proche, une jambe, une oreille – et de ce qui, entre deux bombardements, entre deux pannes d’électricité, donne plus de goût à la vie qu’elle n’en a en continu. « J’ai tellement appris à rebondir que je ne sais plus avancer », écrit-elle, le 20 juillet 89. Rebondir au lieu d’avancer : c’est elle et c’est le Liban. Le présent est invasif, elle n’en garde pas moins le sens du passé. Le 18 décembre 75, elle trouve une étonnante lettre de Renan à son ami Berthelot datée de 1860, dans laquelle il parle du Liban : « Une société arrivée au dernier point de désorganisation où l’on puisse descendre avant d’atteindre l’état sauvage. » À la fin de cette même année qui occupe un tiers du livre, elle conclut : « Par nos idéaux nous justifions la guerre et par la guerre nous salissons nos idéaux ».
Voilà, en quoi cet ouvrage est également rare. Il raconte aujourd’hui en racontant hier. Il est ancien et il est actuel. Il est le récit d’un début. La guerre du Liban fut, en effet, le « premier cas d’éclatement confessionnel d’une société arabe dans l’histoire contemporaine ». Elle revêt, pour notre malheur à tous, un caractère universel. Et ce caractère nous est rendu dans Paradis infernal. « Sans doute n’est-ce pas un hasard, écrit Amal Makarem, si les années retrouvées, transcrites au quotidien, sont celles du début et de la fin. Au début le choc et l’espoir vont de pair. On a les yeux tournés vers la sortie. (…) Les années absentes dans ce journal sont celles d’un grand trou durant lequel chaque jour est un retour de la veille en pire. » On ne peut mieux dire l’enfer quotidien du peuple syrien. Sachant que nous nous rapprochons de plus en plus de l’enfer, nous éloignons de plus en plus du paradis. À partir du Liban, Amal Makarem a vu et noté les germes de l’impuissance arabe.
Akl Awit
Né à Beyrouth en 1952, Akl Awit est poète, critique littéraire, professeur universitaire et journaliste. Rédacteur en chef d’Al-Mulhaq, supplément culturel hebdomadaire du quotidien libanais An-Nahar, il a à son actif une dizaine de recueils de poèmes en arabe. Nombre de ses poèmes sont traduits en différentes langues et publiés dans divers magazines et anthologies poétiques.
Traduit de l’arabe (Liban) par Antoine Roumanos
Mahmoud Darwich
Fin 1991, une jeune journaliste libanaise d’origine arménienne, Ivana Marchalian, cherche à joindre Mahmoud Darwich, alors à Paris, pour un entretien qui serait publié dans l’hebdomadaire pour lequel elle travaille alors. Après plusieurs rencontres avec le poète, il répond à ses questions par écrit, et l’autorise à disposer du texte comme elle l’entend. Cinq ans après la disparition de Darwich, elle se décide à livrer au public ce témoignage, d’autant plus intéressant qu’il est accompagné par l’un des très rares manuscrits du poète qu’il n’a pas lui-même déchiré. Ce dialogue aborde la vie et l’œuvre de Darwich : son rapport à l’histoire de la Palestine et à sa géographie, son enfance et sa mère, sa relation avec “Rita”, devenue symbole de l’amour contrarié par la guerre, et de bout en bout sa vision de l’identité, de l’exil, de la mort… et de la poésie.
Ivana Marchalian est journaliste. Elle a participé à plusieurs projets pour la télévision libanaise et elle est actuellement coréalisatrice de séries, documentaires et longs métrages.
Mahmoud Darwich, né en 1942 à Birwa, près de Saint-Jean d’Acre, et mort à Houston en 2008, est unanimement considéré comme l’un des plus grands poètes arabes contemporains. Auteur de plusieurs ouvrages maintes fois réédités et traduits partout dans le monde, il a publié chez Actes Sud : Au dernier soir sur cette terre (poèmes, 1994) ; Une mémoire pour l’oubli (récit, 1994) ; Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? (poèmes, 1996) ; La Palestine comme métaphore (entretiens, 1997) ; Le Lit de l’étrangère (poèmes, 2000) ; Murale (poème, 2003) ; État de siège (poème, 2004) ; Ne t’excuse pas (poèmes, 2006) ; Entretiens sur la poésie (2006) ; Comme des fleurs d’amandier ou plus loin (poèmes, 2007) ; La Trace du papillon (poèmes, 2009), Anthologie (19922005), édition bilingue (Babel, 2009) ; Le Lanceur de dés (poèmes, avec des photographies de Ernest Pignon Ernest, 2010) et Nous choisirons Sophocle (poèmes, 2011).
Jabbour Douaihy
À travers ces destins croisés, c’est l’histoire récente de toute une ville qui nous est contée, dans un roman à la fois riche et concis où rien n’est superflu. L’auteur y parvient admirablement à restituer les antagonismes de classes et de générations, la décomposition de l’élite traditionnelle, les élans brisés de la jeunesse et l’irrésistible ascension de l’islamisme radical, tout en célébrant le vieux fond de courage et de bon sens populaires qu’incarne une modeste et émouvante femme de ménage.
Traduit de l'arabe (Liban) par : Stéphanie DUJOLS
Jabbour Douaihy est né en 1949 au nord du Liban. Professeur de lettres françaises à l’Université libanaise de Tripoli, traducteur et critique à L’Orient littéraire, il compte parmi les grands acteurs culturels du pays. Quatre de ses romans sont déjà parus en français : Équinoxe d’automne (AMAM-Presses du Mirail, 2000), et chez Actes Sud Rose Fountain Motel (2009), Pluie de juin (2010) et Saint Georges regardait ailleurs (2013, prix de la Littérature arabe).
Najwa Barakat
Roman allégorique aux résonances métaphysiques, La Langue du secret se présente comme une enquête policière et n’est pas sans parfois rappeler Le Nom de la rose d’Umberto Eco. À travers l’affrontement entre le grand maître et le libraire, aussi savants l’un que l’autre, il oppose deux conceptions du savoir et du pouvoir que celui-ci engendre, et dénonce les ravages de la parole qui se donne comme pouvoir suprême parce qu’elle serait d’inspiration divine.
Traduit de l'arabe (Liban) par : Philippe VIGREUX
Najwa M. Barakat est née à Beyrouth (Liban) en 1960. Elle vit depuis 1985 à Paris, où elle a fait des études de cinéma et travaillé comme journaliste dans la presse écrite, radiophonique et audiovisuelle. Elle a fondé en 2009 un atelier d’écriture, « Comment écrire un roman ». Elle est l’auteur de cinq romans en arabe, dont Bâs al-awâdem (Le Bus des gens bien, stock 2002) et d’un roman en français (La Locataire du pot de fer, L’Harmattan, 1997). Une traduction de Ya Salam ! a paru en 2007 chez Epoché.
Naguib Mahfouz
Paru en 1981, ce roman de Naguib Mahfouz est probablement celui où il s’engage le plus loin dans l’expérimentation, avec une étonnante disposition à se renouveler sur le plan formel tout en approfondissant ses derniers thèmes majeurs, ceux de la chute et de la honte, du passage du temps et de la fragilité des choses humaines.
Traduit de l'arabe (Égypte) par : France MEYER
NAGUIB MAHFOUZ
Né au Caire en 1911, Naguib Mahfouz est l'auteur de plus de cinquante romans et recueils de nouvelles qui lui ont valu le prix Nobel de littérature en 1988. Naguib Mahfouz est décédé dans sa ville natale le 30 août 2006. Dernières parutions : Karnak Café (2010) et Le Cortège des vivants (Babel n° 1035)
Ounsi El-hage
Ounsi el-Hage
Né en 1937 à Beyrouth, où il est décédé en 2014, Ounsi El Hage a été l’un des premiers collaborateurs et la voix la plus radicale de la revue Shi‘r (“Poésie”), publiée entre 1957 et 1964. Il est considéré comme l’un des principaux médiateurs du surréalisme dans le monde arabe, grâce notamment à ses traductions d’oeuvres d’André Breton et d’Antonin Artaud, accompagnées de commentaires contextuels et analytiques. Il est l’auteur de six recueils de poésie, de eux volumes d’aphorismes et d’un ouvrage en trois tomes réunissant ses plus insolentes chroniques de l’actualité littéraire et sociale parues entre 1964 et 1987 dans le grand quotidien libanais An-Nahar. Une anthologie de ses poèmes, Éternité volante, a été éditée par Sindbad/Actes Sud en 1997.
Traduit de l’arabe (Liban) par Abdul Kader el-Janabi et Marie-Thérèse Huerta
May Chidiac
MAY CHIDIAC
Née au Liban en 1963, May Chidiac est une figure majeure du journalisme. Présentatrice des nouvelles et animatrice de talk-shows politiques, Chidiac lutte sous l’occupation syrienne pour la liberté du peuple libanais. Elle en paie le prix cher quand, le 25 septembre 2005, elle est victime d’une explosion à la voiture piégée qui lui fait perdre sa jambe et son bras gauches. Après une réhabilitation de dix mois en France, elle regagne le Liban, reprend sa carrière journalistique, et publie en 2007 son premier livre Le Ciel m'attendra (Florent Massot). En 2008, elle obtient son doctorat en sciences de l'information de l'Université Panthéon Assas Paris II. Professeur de journalisme et Radio/TV à l'Université Notre Dame-Louaize, Chidiac reçoit de nombreuses distinctions internationales dont, en 2006, le prix de la Francophonie pour la Liberté d'Expression et le prix UNESCO/Guillermo Cano pour la Liberté de la Presse. Elle reçoit en 2007, des mains du Président de la République française Jacques Chirac, les insignes de Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur. Elle fonde en 2009 la Fondation May Chidiac, une organisation qui prône la promotion du journalisme professionnel et les valeurs de liberté et de démocratie.
Toufic Youssef Aouad
TOUFIC YOUSSEF AOUAD
Né en 1911 à Bharsaf et décédé dans un bombardement en 1989, Toufic Youssef Aouad a fait ses études de droit à l’université Saint-Joseph de Beyrouth avant de fonder un périodique, Al-Jadîd. Après l’indépendance de son pays, pour laquelle il a activement milité, il a occupé des postes diplomatiques importants, en Amérique latine, en Asie et en Europe.
Il est unanimement considéré comme l’un des pères fondateurs de la littérature libanaise de fiction. Son oeuvre, à forte résonance sociale, plaide pour des réformes radicales, tant économiques que politiques. Ainsi de ses premiers recueils de nouvelles, Le Garçon boiteux (1937) et La Chemise de laine (1938), ou de son roman La Galette de pain (1939). Son roman Dans les meules de Beyrouth, choisi par l’Unesco comme oeuvre représentative, a été traduit dans plusieurs langues, dont l’anglais et l’allemand.
Henri Zoghaib
HENRI ZOGHAIB
Poète libanais très actif dans le domaine culturel, Henri Zoghaib est l’auteur d’une multitude de recueils poétiques et d’études sur Élias Abou Chabaké, les frères Rahbani et Gibran. Directeur du Centre du patrimoine libanais auprès de la Lebanese American University (LAU), fondateur de la revue L’Odyssée, rédacteur en chef du magazine Cedar Wings, il est aussi chroniqueur au journal an-Nahar et à la radio.
Percy Kemp
Villa de Siam dans le seizième, ça sonnait très bien. N’est-ce pas beau, seizième ? La bouche s’entrouvre à peine, les lèvres épousent la dentition, la langue flirte avec les dents du bas, des muscles dans la gorge, dont le commun des mortels ignore jusqu’à l’existence, se tendent, et le mot prend son envol : seizième, seizième, seizième… Deux syllabes en une. Ce n’est plus un mot mais un son. Un très beau son, d’ailleurs, qui s’ouvre gravement sur le « è », fond élégamment le « s » avec le « z », et s’en va mourir gracieusement sur le « m ». Mm… Mm… Mm… Une vraie mélodie. De tous les arrondissements de Paris, il n’y avait que le septième pour s’en rapprocher phonétiquement. Mais septième, c’était encore trop incisif, trop tranchant. Trop d’emphase sur le « s », et encore plus sur le « t ». Seizième, se disait-elle, cela sonnait tellement mieux.
PERCY KEMP
Né à Beyrouth en 1952 de père britannique et de mère libanaise, Percy Kemp est un écrivain de langue française. Après des études d'Histoire à Oxford, à la School of Oriental and African Studies (Université de Londres) et à la Sorbonne, Il publie plusieurs romans brillants comme Le Système Boone (Albin Michel, 2002), Le Muezzin de Kit Kat (Albin Michel, 2004) et Noon Moon (Seuil, 2010). En 2013, il publie Le Prince (Seuil), un traité satirique dans lequel il adresse des conseils à nos gouvernants, aujourd'hui malmenés par les événements, sur les nouvelles façons d'exercer le pouvoir et le meilleur moyen de le conserver. L’œuvre de Percy Kemp est marquée par un univers particulier, entre humour anglais et exotisme proche-oriental, dont ces Histoires courtes sont une illustration parfaite.
Hanan El-cheikh
HANAN EL-CHEIKH
Née au Liban en 1945, dans une famille chiite du Sud, Hanan el-Cheikh vit aujourd’hui à Londres après avoir séjourné au Caire et dans les pays du Golfe. Son œuvre, traduite en plusieurs langues, est disponible en France chez Actes Sud : Femme de sable et de myrrhe (1992), Histoire de Zahra (1999), Poste restante, Beyrouth (1995), Le Cimetière des rêves (2000), Londres mon amour (2002), et Toute une histoire (2010, Prix du Roman arabe 2011).
Ziad Majed
Ziad Majed
Politologue et chercheur libanais, Ziad Majed réside en France où il enseigne la science politique et les études du Moyen-Orient contemporain à l'université américaine de Paris, et visite le Liban régulièrement pour organiser ou participer à des manifestations politiques et culturelles. Il est auteur d'articles et d'études sur les réformes, les transitions démocratiques, les élections, la société civile et la citoyenneté au Liban, en Syrie et dans la région arabe. Il a contribué en 2004 à la fondation du mouvement de la gauche démocratique (avec Samir Kassir, Élias Khoury et de nombreux intellectuels, politiciens et militants), et a participé au soulèvement de l'indépendance en mars 2005, lors dès manifestations à Beyrouth contre les assassinats politiques et l'hégémonie du régime syrien.
Georgia Makhlouf
GEORGIA MAKHLOUF
Correspondante à Paris de L'Orient Littéraire, supplément mensuel du quotidien L'Orient-Le Jour, Georgia Makhlouf partage sa vie entre Paris et Beyrouth. Elle a également longtemps écrit des chroniques pour le Magazine Littéraire. Elle est membre fondateur et présidente de Kitabat, association libanaise pour le développement des ateliers d’écriture.
Elias Khoury
Jocelyne El Boustany
Alexandre Najjar
Jabbour Douaihy
Né à Tripoli, au nord du Liban, dans une famille musulmane, mais adopté par un couple chrétien en mal d’enfants, Nizam s’installe à Beyrouth à l’âge de vingt ans, au moment où s’exacerbent, au début des années 1970, tous les conflits politiques, sociaux et culturels du pays, préfigurant la guerre civile.
Finaliste du Prix international du roman arabe (IPAF, le Booker Prize arabe) 2011.
JABBOUR DOUAIHY
Jabbour Douaihy est né en 1949, à Zghorta (Nord-Liban). Professeur de littérature française à l’université libanaise de Tripoli, traducteur et critique à L’Orient Littéraire, il compte parmi les grands acteurs culturels du pays. Trois de ses romans ont déjà été traduits en français : Équinoxe d’automne (AMAM-Presses du Mirail, 2000), et chez Actes Sud Rose Fountain Motel (2009) et Pluie de juin (2010).
Alexandre Najjar
Très tôt, Abouna Yaacoub a suscité ma curiosité. Dans mon livre Le Roman de Beyrouth, je l’ai même mis en scène pour bien montrer sa ténacité et son courage face à l’occupant ottoman. Lorsque mon oncle Raymond Najjar et les Franciscaines de la Croix du Liban ont reconstruit l’hôpital Saint-Joseph fondé à Dora par le père Jacques, j’y ai vu un nouveau signe de la Providence qui volait toujours au secours du Capucin quand il se trouvait à court de moyens, et me suis promis de consacrer un livre à ce personnage proclamé “Bienheureux” par le Vatican et vénéré par des milliers de Libanais au même titre que les trois saints du Liban : saint Charbel, saint Nehmetallah Hardini et sainte Rafqa – sans compter saint Maron, patron de la communauté maronite.
En 2008, lors de la cérémonie de Béatification d’ « Abouna » au centre-ville de Beyrouth, j’ai ressenti une vive émotion et la fierté d’être le compatriote de cet homme d’exception qui fut, comme l’affirmait le patriarche maronite Arida, « l’une des gloires du Liban »
Ce livre se veut donc un hommage au père Jacques et un témoignage de gratitude pour l’oeuvre colossale qu’il entreprit. Je me suis basé, pour l’écrire, sur ses archives per son nelles, sur sa correspondance, sur les actes de son procès en béatification, sur les souvenirs inédits de mère Marie Zougheib et sur les travaux remarquables du père Sélim Rizkallah dont les ouvrages font autorité. Puisse-t-il per mettre aux lecteurs de mieux mesurer la grandeur de ce visionnaire, modèle de cou rage, de charité et d’humilité, en attendant sa canonisation par une Église qu’il servit avec zèle et ab négation.
Peter Et Camille Germanos
Cet essai traite de questions essentielles posées par l'après-guerre au Liban. Il évoque les notions de réconciliation, de reconnaissance et de pardon, sans lesquelles la société libanaise ne saurait panser définitivement ses plaies, puis aborde le problème de l'administration libanaise, aujourd'hui minée par la corruption, le clientélisme et le confessionnalisme, sans laquelle la paix ne saurait être consolidée. Il préconise le recours à la justice réparatrice comme cadre de réflexion et propose la création par le Parlement libanais d'une Commission de vérité, à l'instar de la commission créée en Afrique du Sud, appelée à démonter les mécanismes de la violence et à régler, une fois pour toutes, le dossier des disparus et celui des déplacés.
PETER ET CAMILLE GERMANOS
Peter Germanos est juge d’instruction du Mont-Liban. Docteur en droit, il est l'auteur de plusieurs ouvrages juridiques et littéraires. Camille Germanos est diplômée de l’École des hautes Études en Sciences Sociales (EHESS - Paris).
Une réflexion perspicace, qui fournit, à partir du cas libanais, des pistes intéressantes pour mieux appréhender les idées de paix, de justice et de réconciliation.
Henry Laurens
Ce recueil réunit les articles et les études d'Henry Laurens publiés dans la revue L’Histoire où il écrit depuis vingt ans. Avec clarté, dans un style limpide, l'auteur nous livre là l’essence de ses travaux sur l’histoire de l’orientalisme, sur le concept d’empire, sur l’histoire de la Méditerranée et sur la question de la Palestine.
Un ouvrage édifiant, qui rend plus intelligible cet Orient que le général de Gaulle qualifiait de 'compliqué', et éclaire d'un jour nouveau des événements et des concepts majeurs liés au monde arabe, au Levant ou au bassin méditerranéen, zones où la cohabitation des religions et des idéologies a engendré, depuis des siècles, malentendus, luttes d'influence et conflits, mais aussi dialogue et espérances.
HENRY LAURENS
Historien français, Henry Laurens est spécialiste du Moyen-Orient depuis le XVIIIe siècle, sujet sur lequel il a publié de nombreux ouvrages, notamment La question de Palestine (en 4 tomes). Il occupe la chaire d'Histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France.
Toufic Youssef Aouad
Paru à Beyrouth en 1973, soit deux ans avant le déclenchement de la guerre civile, ce roman ambitieux et prémonitoire a marqué un tournant dans l’histoire de la littérature libanaise. Il restitue en effet, avec une étonnante précision et dans un style incisif, l’ambiance de la fin des années 1960 : radicalisation des luttes politiques, sociales et idéologiques, irruption des fédayins palestiniens sur la scène libanaise, libéralisation des moeurs, contestation de plus en plus large du système confessionnel, notamment par la jeunesse.
Les deux principaux personnages du roman, Tamima et Hani, font partie des étudiants les plus lucides, et leur engagement commun va rapidement les rapprocher malgré leur appartenance à des communautés religieuses différentes, lui étant chrétien, et elle musulmane chiite. Tous les deux d’origine paysanne, ils doivent aussi, chacun de son côté, faire face aux préjugés du milieu familial, aux coutumes villageoises ancestrales, aux difficultés d’intégration dans la société urbaine. S’ils y parviennent un moment, réconfortés par l’enthousiasme ambiant, leur propre destin bascule lorsque le frère de Tamima, un voyou sans foi ni loi, tente d’assassiner sa soeur pour “laver l’honneur de la famille”…
Roman traduit de l'arabe par Fifi Abou Dib
TOUFIC YOUSSEF AOUAD
Né en 1911 à Bharsaf et décédé dans un bombardement en 1989, Toufic Youssef Aouad a fait ses études de droit à l’université Saint-Joseph de Beyrouth avant de fonder un périodique, Al-Jadîd. Après l’indépendance de son pays, pour laquelle il a activement milité, il a occupé des postes diplomatiques importants, en Amérique latine, en Asie et en Europe.
Il est unanimement considéré comme l’un des pères fondateurs de la littérature libanaise de fiction. Son oeuvre, à forte résonance sociale, plaide pour des réformes radicales, tant économiques que politiques. Ainsi de ses premiers recueils de nouvelles, Le Garçon boiteux (1937) et La Chemise de laine (1938), ou de son roman La Galette de pain (1939). Son roman Dans les meules de Beyrouth, choisi par l’Unesco comme oeuvre représentative, a été traduit dans plusieurs langues, dont l’anglais et l’allemand.
Il en aura fallu du temps pour que le roman de Toufic Youssef Aouad (1911-1989), Tawahîn Bayrût, commencé en 1969 et paru en 1972, puisse être lu en français. Dès 1974, il a été choisi par l’Unesco comme « œuvre représentative » et désigné comme tel pour être traduit en diverses langues. Il le sera en anglais, en allemand, en russe et en espagnol (1992), mais pas dans la langue de Molière. La présente édition, programmée en 2009 dans le cadre de Beyrouth Capitale mondiale du livre, voit aujourd’hui le jour. Mais d’avoir tardé à paraître n’ôte rien à l’intérêt et au plaisir de lire un roman qui a su saisir ce qu’avaient de prémonitoire les années qui précédèrent les guerres du Liban (1975-1990) et de voir comment un maître de la fiction pouvait déceler en leur tourmente les repères fondamentaux d’une situation qui allait gouverner le pays et qui, en dépit de bien des changements, ne cesse de le faire.
Aouad a touché à tous les genres : chroniques de presse, poésie, théâtre, mémoires… Mais son maître domaine est la fiction en ses deux aspects : les nouvelles et le roman. À l’âge de 25 et de 26 ans, il publie deux recueils qui, par le réalisme audacieux, la simplicité du style et l’art de la narration, sont si novateurs qu’ils deviennent en quelques années des classiques du genre. Pas un écolier du Liban à ne pas se souvenir des frustrations du « garçonnet boiteux » (al-Sabî al-a’raj, 1936) ou de l’aimante mère du « tricot de laine » (Qamîs al-sûf, 1937), les deux nouvelles qui donnent leur titre aux livres. Ceux d’entre eux que passionnèrent les prototypes découvrirent dans chaque ouvrage un texte inhabituel par sa relation de la vie sexuelle et qui montrait la modernité d’un auteur dont l’écriture ne s’est pas dissociée de toute vision moralisatrice.
En 1939, Aouad s’attaque au registre romanesque et publie al-Raghîf (La Galette de pain). À la veille d’un nouveau conflit mondial, il prend par les cornes une des périodes les plus cruciales de l’histoire du Mont-Liban : la guerre de 1914. Il réussit à y rendre l’atmosphère suffocante d’oppression et de famine et le lot de malheurs qui accablent alors la Montagne. C’est sans doute son flair historique pour les époques essentielles et critiques qui le conduit, alors qu’il a embrassé la carrière diplomatique depuis 1946 et vit le plus souvent à l’étranger, à faire de l’actualité libanaise le sujet de son second roman, ces Tawahîn pour lesquels il semble avoir choisi lui-même le correspondant français de Meules pour insister sur l’effet d’écrasement et de broiement de la nouvelle Babylone qu’est, en cette fin des années 1960, la capitale libanaise.
Beyrouth – où s’édifie dans les luttes l’Université libanaise, où le quartier Hamra prospère et présente les mirages d’une vie nouvelle et d’une modernité flamboyante – attire à elle tous les jeunes du pays. Tamima y vient de l’extrême-Sud et Hani du Metn-Nord. Ils sont là pour leurs études, veulent s’arracher à leur enracinement rural et sont épris de liberté et d’idéaux. Ils souhaitent surtout que leur vie leur appartienne. Issus de deux communautés différentes, ils ont à affronter « le retour au refrain chrétien/musulman », les mœurs ancestrales, les contraintes du manque d’argent, la cupidité, l’opportunisme des politiques, les entorses permanentes à la loi… À l’heure où l’on parle de libération sexuelle, c’est une atmosphère lourde d’érotisme malsain qui prévaut dans les divers milieux intellectuels et notables. Et le moment est surtout à l’intrusion de la Résistance palestinienne dans la vie quotidienne avec son flot de violences et de dissensions sur arrière-fond d’agressions israéliennes. Aouad réussit le pari de tenir l’attention en haleine tout au long de sa fiction et d’y glisser des événements réels. Il incarne par des personnages nombreux et singularisés les multiples facettes d’un monde déchaîné.
La traduction de notre collègue Fifi Abou Dib donne au roman une fluidité en français qui n’est pas loin d’égaler l’original arabe, ce qui n’est pas peu dire. Les années passées depuis la parution du roman en 1972 lui sont elles-mêmes bénéfiques car elles permettent de saisir l’ampleur du travail narratif et de la vision d’ensemble au détriment de détails sur lesquels alors on ergotait.
(2012-11 / NUMÉRO 77 )
قد تكون «طواحين بيروت» الرواية الأولى التي افتتحت مرحلة «رواية الحرب» التي يمكن تسميتها مرحلة الرواية اللبنانية «الجديدة». فالحرب كانت بمثابة الخطّ الفاصل بين مرحلتين روائيّتين: مرحلة ما قبل الحرب ومرحلة ما بعدها. وكان على رواية الحرب أن تمثل ما يشبه الثورة على المرحلة الروائية الأولى وعلى الرواد الذين أسسوا هذه المرحلة، ومنهم مارون عبود، خليل تقي الدين، ميخائيل نعيمة وسواهم. لكنّ رواية مثل «طواحين بيروت» (1973) وأخرى مثل «لا تنبت جذور في السماء» للروائي الكبير يوسف حبشي الأشقر (1929 - 1992) الذي يُعدّ بمثابة الأب الشــرعي للـرواية الجديدة، كانتا في مقدّم حركة التجديد والتحديث، مثلهما مثل أعمال الجيل الذي برز لاحقاً. وبدا هذان الروائيان المخضرمان، كأنهما يثوران في أعمالهما الجديدة على نتاجهما السابق نفسه الذي ينتمي إلى المرحلة التأسيسية الأولى. ولعلّ هذا التحديث تجلّى بوضوح في هاتين الروايتين، الأولى «لا تنبت جذور في السماء» (1971) التي افتتحت أفقاً روائياً واسعاً لم يكن معهوداً في السابق، والثانية «طواحين بيروت» التي كانت سبّاقة في تأسيس أدب الحرب وإن قبل وقوعها الوشيك.
تختلف قراءة «طواحين بيروت» بالفرنسية عنها بالعربية. توفيق يوسف عوّاد كاتب صاحب أسلوب، في ما يشمل هذا الأسلوب من نَفَس ولغة وإيقاع. وهو يسلك في كتابته سبيل «السهل الصعب» (وليس السهل الممتنع)، فتبدو لغته بسيطة ومعقّدة في آن، علاوة على ما تحمل من تفنّن هو ليس بالتصنع، ومن جمالية هي بنت الذائقة والمراس. إلا أنّ الكاتبة فيفي أبو أديب نجحت كثيراً في مواجهة هذه اللغة التي لا تشبه لغة الروائيين الجدد، فطوّعتها بأمانة وقوّة، محافظة على نَفسها وروحها.
ولعل القارئ الثنائي اللغة قد يفرح بالصيغة الفرنسية التي أنجزتها أبو ديب، فرحه بالصيغة الأم، حتى وإن شعر أنه أمام نصّ آخر، هو النص الأول ولكن بالفرنسية. وعملت أبو ديب على النص كما لو أنها تكتبه بالفرنسية، متكئة على معرفتها العميقة بالفرنسية وأسرارها. وهي من الكتّاب الفرنكوفونيين اللامعين وتكتب زاوية بديعة في صحيفة «لوريان-لوجور» كل خميس، عطفاً على نصوصها ومقالاتها النقدية.
كتب عوّاد هذه الرواية عشية الحرب الأهلية وبدا فعلاً كأنه «يتنبأ» بها. بل هو لم يتنبأ بها بقدر ما رسم خطوطها الأولى، سواء من خلال الشخصيات التي كان لها موقعها في الحرب لاحقاً، أم عبر الصراعات التي عاشتها هذه الشخصيات والمواقف التي أعلنتها أو مالت إليها. فالطائفية تشهد في هذه الرواية حال «التقنع» التي طالما توارت وراءه، على خلاف النزعة العلمانية التي اصطدمت بجدار الانقسام والشرذمة لاحقاً. وكذلك الصراع الطبقي الذي قلبته الحرب وعرّته من جوهره، ناهيك بالمقاومة الفلسطينية التي عوض أن تتوجه إلى إسرائيل وقعت في شباك الحرب الأهلية وأصبحت فريقاً من أفرقاء النزاع الداخلي. وهذا ما توقعه أصلاً، هاني الراعي، أحد «أبطال» هذه الرواية، الذي لم ينثن عن نقد المقاومة الفلسطينية في تطرّفها السياسي.
المدينة المضطربة
إنها بيروت ما قبل الحرب، كما عاشها عوّاد من موقع المراقب، منخرطاً في شؤونها وشجونها، بغية رسم صورة شبه واقعية عن أحوالها المضطربة والصراعات التي عرفتها، وعن الخيبات التي أصابت هذه الشريحة من الشخصيات التي اختارها بوعي ودقة، حتى أنها غدت في أحيان، أقرب إلى ما يشبه قليلاً النماذج «الستريوتيبية». أما الطواحين فهي ليست طواحين هواء، مثل تلك التي حاربها دون كيشوت، بل هي طواحين من فولاذ، راحت تطحن الشخصيات طحناً وفي طليعتهم تميمة نصور، «البطلة»، إن أمكن القول، ثمّ الشخصيات الأخرى التي انتهت إلى حال الخيبة الشديدة، مثل شقيقها جابر الذي سيق إلى السجن بعدما حاول قتل شقيقته (تميمة)، فقتل صديقتها ماري أبو خليل التي أصابتها الرصاصة بالخطأ. وهناك الخادمة زنوب التي يغتصبها جابر فتحمل منه وترمي بنفسها عن صخرة الروشة منتحرة رافضة فكرة الإجهاض، وكذلك الست روز، ابنة الكاهن المسيحي التي تتزوج رغماً عن أهلها من شاب مسلم، وعندما يتوفى تتجه إلى الدعارة، في مبنى (بنسيون) تؤجر غرفه، ثم تنتهي مريضة تحتضر...
صورة سوداء يرسمها عواد عن بيروت منتصف السبعينات، بيروت التي كانت تتهيّأ للحرب، بيروت التي كانت مختبراً للأفكار والأيديولوجيات والأحزاب، بيروت الملجأ، بيروت الطلاب الجامعيين وتظاهراتهم، بيروت الحانات الليلية... وقد تكون تميمة نفسها هي أيقونة هذه المدينة، الأيقونة التي سقطت وتحطّمت. فهذه الفتاة التي قدمت من قريتها التي تكرهها، إلى بيروت طلباً للعلم والتحصيل الجامعي، وجدت نفسها ضحية، ضحية مثاليتها وبراءتها وحماستها الثورية، وضحية الآخرين وفي مقدّمهم رمزي رعد، الكاتب والصحافي، الذي أوقعها في الفخ، فاغتصبها وأفقدها عذريتها.
كانت تميمة قرأت كتابه «أرباب وعبيد» وأعجبت به، وبآرائه الرافضة للقيم والتقاليد، وعندما التقت به سرعان ما انقادت إليه. وعلى رغم الفضيحة التي أوقعها فيها، ظلّت تحبّه، تحبه وتكرهه في آن، هو الشخص النرجسي، العبثي والعدمي، الحاقد والكاره، الشهواني الذي لا يعرف أن يحبّ، المحرّض على الثورة أياً تكن، الداعي الشباب إلى الانتحار من دون أن يفكر هو في الإقدام عليه... وعندما تتعرّف تميمة إلى هاني الراعي، الطالب الجامعي الذي يدرس الهندسة، بعدما أسعفها عندما أصيبت في التظاهرة الطالبية، أحست بقدر من الحب تجاهه، لكنها لم تستسلم لهذا الحب، ليس لأن هاني مسيحي، بل لأنه يمثل الشخص النقيض لحبيبها الأول رمزي رعد. هاني، شخص معتدل، يحافظ على القيم ويرفض الثورة الهدامة، علماني وواقعي، يدعو إلى الثورة على النفس، قبل الثورة على العالم.
إنه البطل «الإيجابي» الذي يخالف تماماً رمزي رعد الذي يمثل نموذج البطل «السلبي». ظلّت تميمة ضائعة بين هذين الشخصين أو النموذجين المتناقضين، ولم تستطع أن تحسم أمرها. فهي بمزاجها الثوري تميل إلى رمزي، الذي أجّج فيها جمرة التمرّد ضدّ قريتها وعائلتها وأبيها المهاجر الذي يتزوج من امرأة أفريقية وينجب منها ابنة «سوداء» ثم يدخل السجن بتهمة تهريب الماس.
هذا التمرد أعلنته أيضاً ضد أمها التي كانت ترى فيها صورة المرأة المذعنة والمستسلمة والتقليدية، وكذلك ضد شقيقها المتسلّط، الذي يمارس عليها سلطته الذكورية والذي حوّلته بيروت من طالب جامعي إلى شخص فاسق، يرتاد الحانات والمواخير، ولا يتوانى عن إطلاق النار على شقيقته تميمة، فيردي صديقتها ماري. وعندما يزور والده في أفريقيا يعتدي على أخته من أبيه، الأفريقية الأم ويغتصبها.
تجد تميمة نفسها تائهة ومنفصمة في بيروت، في شارع الحمراء الذي يقع فيه «بنسيون» الست روز. لم تجد في رمزي الشخص السلبي منقذاً ولا في هاني، الشاب المستقيم. وهكذا كان عليها أن تقرّر الالتحاق بحركة الفدائيين الفلسطينيين الذين وجدت فيهم رمز الضحية التي تقاوم الظلم... وكم أصاب عوّاد في هذا الخيار، فالمقاومة الفلسطينية جذبت الكثيرين من الشبان اللبنانيين، طلاباً جامعيين ومثقفين يساريين.
رواية «طواحـين بيروت» ما زالت تُــقرأ بمـتعة، مـتعة حـقيقـية، على رغـم مـرور نـحو أربـعين عاماً على صدورها. وقـد زادتـها هذه الأعـوام راهـــنية وألــــقاً، فهــي رواية «أم»، إن جاز التعبير، لا بدّ من العودة إليها، بصفتها إحدى الروايات الأولـى التي أسـسـت الـفن الروائي اللبناني الـحديث، ثم تبعاً لما تمثل من مقاربة وثـائـقيـة وفـنيـة لـمديـنة بيروت عشية وقوعها في جحيم الحرب الأهلية.
Richard Millet
Le triomphe international de l’anglais n’est autre que celui du broken english, cet anglais brisé qui détruit jusqu’à la langue anglaise elle-même. Se contenter de cette langue et de ce bilinguisme-là, ce n’est pas seulement une affaire pratique ; c’est aussi un peu de son âme qu’on abandonne : en négligeant les autres langues au profit du seul anglais, on finit par ne plus savoir qui l’on est. Cette œuvre de destruction culturelle, la langue des États-Unis d’Amérique la rend particulièrement efficace par la politique comme par la sous-culture qu’elle véhicule et impose économiquement. Que le Liban n’y échappe pas plus que les autres pays, rien que de très normal, à ceci près que la pluralité des langues, notamment le trilinguisme arabe-français-anglais, dans cet ordre, constituait la richesse et une chance pour ce pays dont il n’est pas sûr qu’il ne perde pas énormément à devenir arabo-anglophone.
Richard Millet est né à Viam, en 1953. Il a passé son enfance au Liban. Membre du comité de lecture des éditions Gallimard, il est l'auteur d'une soixantaine de livres.
Najwa Barakat
Membres d’une milice qui s’est illustrée pendant la guerre par ses exactions, Louqmane, artificier, l’Albinos, tortionnaire, et Najib, sniper, ont perdu avec le retour de la paix civile tout ce qui faisait leur vie : le plaisir de tuer, de torturer, de violer. L’Albinos fait la connaissance de Salam, une femme du quartier qui ne rêve que de se “caser”, mais il est assassiné peu après leurs fiançailles quand est révélé son affreux passé de tortionnaire. Salam se rapproche alors de Louqmane, bien qu’il l’exècre ostensiblement et se plaise à l’humilier, mais finit par perdre ses illusions. Et c’est au tour de Najib, l’ancien sniper fou, de jeter son dévolu sur elle dans une relation sadomasochiste d’une rare violence. Entre-temps, espérant faire rapidement fortune, les trois amis se sont lancés dans la fabrication d’un produit miraculeux censé débarrasser la ville des cohortes de rats qui l’ont envahie…
Ce roman sur l’impossible réinsertion de trois anciens miliciens dont on ne connaîtra ni la confession religieuse ni l’appartenance politique dénonce en fait, bien au-delà de la situation proprement libanaise, aussi bien les horreurs de la guerre dite civile que la logique des rapports de domination homme-femme. Ecrit dans une langue crue transgressant tous les tabous, il est certainement l’un des textes les plus audacieux de la nouvelle littérature féminin arabe.
Najwa M. Barakat est née à Beyrouth (Liban) en 1960. Elle vit depuis 1985 à Paris, où elle a fait des études de cinéma et travaillé comme journaliste dans la presse écrite, radiophonique et audiovisuelle. Elle a fondé en 2009 un atelier d’écriture, « Comment écrire un roman ».
Elle est l’auteur de cinq romans en arabe, dont Bâs al-awâdem (Le Bus des gens bien, stock 2002) et d’un roman en français (La Locataire du pot de fer, L’Harmattan, 1997). Une traduction de Ya Salam ! a paru en 2007 chez Epoché.
C'était un temps où l'univers tressaillait en (leur) présence et où la terre tremblait sous (leurs) pas.' Un temps où Louqmane, l'artificier de la bande, faisait parler la poudre ; l'Albinos prenait plaisir à dénuder ses victimes avant de les torturer ; et Najib, le sniper, tirait sur tout ce qui passait à portée de son viseur. Un temps où les trois miliciens assouvissaient leur soif de pouvoir, d'argent et de violence, et régnaient en maître de guerre sur le quartier.
A présent que la paix est revenue dans la ville - jamais nommée par Najwa Barakat mais dont on devine qu'il s\agit de Beyrouth - que les derniers 'héros' ont été pendus en place publique devant une foule assemblée comme au spectacle, le trio, devenu duo depuis la mort mystérieuse de l'Albinos, vit de petits trafics. Et surtout, en attendant de monter leur entreprise de dératisation, des subsides de Salam : une vieille fille dont la générosité n'a d'égal que son désir de se marier. Pour cela, elle est prête à endurer le mépris de Louqmane, ses tromperies, voire les pratiques sadomasochistes que lui impose Najib.
Dès les premières lignes de ce roman au verbe dru et cru, la folie plane autour de ces êtres sans repères, sinon ceux que la guerre leur a légués, et qui cherchent vaille que vaille à se réinsérer. Mais le peut-on lorsqu'on est né et que l'on a grandi avec pour seul horizon un conflit fratricide ? La réponse de la romancière et journaliste Nawja Barakat est aussi terrible qu'implacable. A l'image des rapports homme/femme qu'elle dépeint sans tabous. Et de tout ce récit hérissé de stupeur et d'effroi.
Najwa Barakat, voix singulière et audacieuse de la nouvelle littérature arabe, parle avec passion de son travail d’écrivain et de son engagement en faveur de la création littéraire au travers de son atelier d’écriture.
Née à Beyrouth en 1960, Najwa Barakat vit à Paris depuis 1985. Elle y a poursuivi ses études de cinéma avant de travailler comme journaliste pour la presse écrite, la radio et la télévision. Elle est l’auteure de cinq romans en arabe, dont deux ont été traduits en français, Le bus des gens bien (Stock, 2002) et Ya Salam qui vient de paraître chez L\'Orient des livres/Actes Sud. Elle a également écrit directement en français La locataire du pot de fer.
Dans ce roman comme dans les précédents, le lieu géographique qui est le cadre du roman n’est jamais explicitement nommé, même si toutes sortes de détails renvoient à Beyrouth. Pourquoi cela ?
Le fait de ne pas nommer les lieux dans mes romans, tout en leur attribuant un rôle déterminant dans la construction narrative, provient au départ d’une sorte de gêne, plutôt que d’un choix délibéré. Mais une fois cette gêne constatée et après mûre réflexion, elle s’est révélée être une nécessité, et l’absence de toute référence géographique est devenue synonyme d’une liberté absolue, essentielle à ma création. Il ne s’agit donc pas d’une censure, au sens classique du terme, dictée par la peur de la répression ou la peur de l’autre, mais d’une autocensure imposée par ma propre peur de faillir, d’être récupérée par telle ou telle partie, et visant à me préserver des pièges du sectarisme et du fanatisme, qu’ils soient de gauche ou de droite, chrétiens ou musulmans.
J’invente donc des lieux et des personnages facilement reconnaissables par le lecteur libanais, arabe, et même occidental, mais portant des noms allégés si je puis dire, sans référence, débarrassés du poids de nos identités étriquées, afin de les réduire à leur réelle substance : des lieux où des situations de crise éclatent, se vivent au quotidien par des personnages et ont une portée universelle… Ainsi, le lecteur de Ya Salam évolue dans un décor où tout renvoie à Beyrouth, mais il va vite comprendre que le thème évoqué là est avant tout celui du mal et de sa capacité à détruire la vie et les êtres. Les guerres de tous les temps le démontrent. La preuve en est que des lecteurs ne sachant pas que j’étais libanaise ont cru que l’histoire se déroulait à Alger, d’autres à Bagdad, et même en Bosnie.
De façon plus globale, vous semblez entretenir un rapport particulier aux lieux, et plus spécifiquement à ceux qui vous renvoient à vos racines ; ils constituent non pas des points d’ancrage stables, mais toujours menacés, et donc source d’insécurité. Pouvez-vous revenir là-dessus ?
En effet, la guerre m’a appris à ne pas faire confiance aux lieux. Comment leur faire confiance lorsque vous découvrez, très jeune, qu’ils peuvent disparaître, changer de nom et de visage, se dérober, exploser, tuer, trahir, cacher des pièges meurtriers, et que ce qui est supposé représenter la sécurité et la stabilité n’est qu’instabilité, frayeur et tremblement ? Je ne connais pas beaucoup d’endroits, à Beyrouth en particulier, qui ont gardé leur identité originelle après le passage de la guerre : villages entiers déplacés ou rasés, quartiers vidés de leur population, immeubles éventrés, trous béants, sacs de sable, barrages ambulants, etc. Notre mémoire est remplie de lieux qui ne sont plus ; tout comme les personnes, les lieux ont connu des fins tragiques et ont perdu leur limpidité, leur innocence. Il suffit de mentionner n’importe quel nom de quartier de Beyrouth, et toute une liste d’attributs générés par la guerre lui sera automatiquement associée. Les Libanais situent les gens par leur lieu d’appartenance. On vous demande d’où vous venez et l’on sous-entend : quelle est votre confession, à quel clan ou parti appartenez-vous ? Les lieux autant que les personnes ont été frappés de malédiction.
Ce roman Ya Salam est d’une noirceur absolue. Tous les personnages sont corrompus et de façon profonde, quasi existentielle. Le seul personnage qui, curieusement, semble échapper à cette corruption est celui de l’archéologue qui est une étrangère. Pourquoi cette charge si lourde contre les individus de ce pays qu’on sait être le Liban ?
Mais l’archéologue n’est pas une étrangère, c’est une Libanaise qui, comme beaucoup, a émigré avec sa famille alors qu’elle était très jeune, a acquis une autre nationalité, mais a gardé des liens avec son pays d’origine à travers un manque douloureusement ressenti par ses parents. Par ailleurs, les personnages de Ya Salam ne sont pas représentatifs des Libanais, loin de là, ce sont des spécimens un peu particuliers, ayant commis des atrocités pendant la guerre, juste pour le plaisir de torturer et de tuer. L’Albinos est un tortionnaire, Luqmane un expert en explosifs, Najib un sniper. Autour d’eux gravitent des personnages féminins dont Salam, la vieille fille prête à tout pour trouver un mari, Lorisse, la mère de l’Albinos, Marina la prostituée russe, sans oublier Miss Shirine, l’archéologue déjà mentionnée. Nous sommes à la fin de la guerre, une paix a été décrétée, et tous ces personnages sont perdus car ils ne savent pas comment vivre ni quoi faire en temps de paix. Cela dit, les autres personnages que l’on rencontre et qui sont supposés être des gens normaux s’avèrent à leur tour complètement ravagés, comme l’est cette ville envahie par la corruption et les rats.
On rencontrait aussi ce motif des rats dans La locataire du pot de fer où la narratrice habite un studio qu’elle « partage » avec eux. Pourquoi cette récurrence ? Est-ce en lien avec votre admiration pour Camus dont vous avez été la traductrice ?
Si je remonte dans mes souvenirs, La peste est le premier « vrai » roman que j’ai lu quand j’avais à peine 10 ou 11 ans. Je l’ai lu dans sa traduction arabe, et j’en ai été vraiment marquée. La présence des rats dans deux de mes romans n’est certainement pas anodine. Dans La locataire du pot de fer, c’était un clin d’œil à la guerre et au pays d’où je viens, et dans Ya Salam, elle constitue un élément phare du décor romanesque puisque la bande de copains va fonder une société d’extermination de rats.
Dans notre mémoire collective, les rats sont synonymes de monde souterrain, de fléau, de peste, de famine et de guerre. D’ailleurs, l’image de Beyrouth envahie par les rats n’est pas une de mes inventions, c’était une réalité dans les années 90. Une dépêche à ce sujet avait fait le tour du monde. Bref, il me fallait cet élément qui m’a servi à plusieurs niveaux, dont celui de la comparaison entre rats et humains : les seules créatures à tuer et à s’entre-tuer pour le plaisir et non par nécessité de survivre.
Vous évoquez la bande de copains. En effet, il n’y a pas de personnage principal dans votre roman. On a plutôt affaire à un groupe, un bande, une « horde sauvage ». Voulez-vous commenter cela ?
Dans tous mes romans, vous allez tomber sur une galerie de personnages. Le comportement de l’individu ne m’intéresse pas en tant que tel, mais seulement quand il est en groupe, dans une situation de crise. Même quand le Liban n’est pas mon sujet, la marque de la guerre que j’ai vécue est indélébile, et elle est même à l’origine de tout mon projet romanesque. Dans Le bus des gens bien, La langue du secret et Ya Salam, et bien que je dresse des portraits de groupe, il est important de souligner que je ne fais pas dans le social. Dans toute mon œuvre, j’essaie juste de répondre à une question, constante, et qui me tourmente : qu’est-ce qui fait qu’un groupe de gens ordinaires, bien sous tous rapports, bascule soudain dans la violence et la barbarie la plus absurde ? Les hordes humaines, la violence collective, la mécanique du mal, voilà les thèmes majeurs de tous mes romans. Quant à Ya Salam, c’était aussi une tentative de répondre à la question suivante : qui étaient ces gens qui ont commis toutes ces atrocités et ces horreurs ? Comment les mères de ces personnes se comporteraient si elles découvraient qu’elles ont enfanté des monstres ?
Évidemment, la noirceur atteint de plein fouet les relations hommes-femmes qui sont des relations d’exploitation réciproque, fondées sur le mensonge, la poursuite de ses propres intérêts (besoin d’argent, de respectabilité, de passeport…) au travers de l’autre. Est-ce parce que vous avez une vision très négative de ces rapports ou que vous voulez signifier que la corruption du pays atteint tout, y compris dans la sphère privée ?
Ce que j’ai essayé de dire, au risque de choquer plus d’un, c’est que la femme n’est ni victime ni innocente, et qu’elle peut parfois, au nom de l’amour et des valeurs féminines qui sont les siennes, atteindre des sommets de cruauté et dépasser même l’homme.
Vous avez dans Ya Salam des individus piégés dans des rapports de domination, de sadomasochisme, d’exploitation et de torture. Salam, la vieille fille autour de laquelle gravitent les trois hommes, va commettre l’innommable à l’encontre de son frère attardé, juste parce qu’elle a peur qu’il soit un obstacle à ses projets de mariage avec Luqmane. Lorisse, pour des raisons diamétralement opposées, va elle aussi commettre un double meurtre lorsqu’elle apprendra la vérité sur les activités de son fils. Marina se révèle être liée à un trafic de drogue et l’on ne comprendra pas si elle est vraiment impliquée ou si elle s’est fait piéger par son « fiancé »…
En marge de votre propre écriture, vous êtes très engagée dans des ateliers d’écriture encourageant la création littéraire de jeunes auteurs. Pourquoi cet engagement ?
Parce que c’est nécessaire, parce que je sais le faire, et parce que c’est utile. L’idée des ateliers d’écriture en langue arabe m’est venue bien avant les révolutions arabes. J’avais ressenti, comme nous tous je crois, une désertification généralisée, et cela commençait à me poser problème à un niveau plus personnel. Je n’arrivais plus, par exemple, à participer aux rencontres et colloques littéraires qui s’organisaient ici et là, car ça me desséchait encore plus et ça commençait à me faire honte. C’est alors que je me suis demandé ce que je pourrais faire, et la réponse m’est venue après des mois de réflexion. J’ai fondé mon atelier « Mohtaraf comment écrire un roman » qui a produit dans sa première édition deux premiers romans de deux jeunes auteurs.
Vous avez dit, dans un entretien accordé à une télévision arabe, que les ateliers d’écriture ont correspondu à une crise dans votre travail d’écrivain, à un questionnement sur le statut de l’écrivain. Pouvez-vous nous expliquer cela davantage ?
En effet. C’est comme si j’avais perdu le mot de passe. Écrire d’accord, mais pour qui, pourquoi ? J’avais perdu ma motivation. Plus que ça, j’avais l’impression de vivre dans un monde brouillon, une sorte de copie inachevée remplie d’erreurs et de non-sens. Le monde arabe vivait une réelle agonie, comment pouvais-je lutter contre cela ? Avant, l’écriture que j’avais commencée très jeune me fournissait une sorte de force, de réponse, d’arme. Puis, plus rien. Depuis 2005, je n’ai pratiquement plus écrit. Ce n’est pas la crise de la page blanche, non. J’ai des projets de romans et je suis toujours en chantier d’écriture. C’est juste un sentiment d’impuissance, d’inutilité et de non-sens, qui m’a bloquée, et j’ai eu envie de renouer avec la réalité à travers le contact avec des auteurs en herbe. Il fallait essayer de créer un contre-pouvoir, un laboratoire, jeter un caillou dans l’eau stagnante du paysage culturel arabe.
C’est impossible de ne pas faire de la place aux jeunes, de les laisser ainsi s’asphyxier, périr, s’ankyloser. La culture arabe ne reconnaît pas le droit des jeunes à s’exprimer ; pour elle, la connaissance est une affaire d’âge, de vieillesse, de longues années d’expérience, les jeunes n’ont qu’à se taire et à écouter. Il faut changer cet état de choses. Ce sont mes ateliers qui m’ont donné la réponse.
Vous habitez Paris depuis de nombreuses années, mais vous restez taraudée par la question d’un éventuel retour au pays. Où en êtes-vous de cette interrogation ?
Je ne me pose plus cette question du retour, car même si je rentrais demain au Liban, je sais que ce ne sera pas au pays que j’ai connu avant de partir. Dire que l’écrivain habite sa langue et ses mots n’est pas une idée vaine, surtout lorsqu’on appartient à des pays tels que les nôtres.
Samir FrangiÉ
Cet ouvrage est le récit d’un long cheminement à la recherche d’une issue à la guerre qui a ravagé le Liban.
Il évoque tout d’abord la violence telle qu’elle s’est manifestée:
• La violence identitaire, la guerre entre les Libanais
• La violence israélienne et le projet d’une alliance des minorités contre la majorité arabo-musulmane
• La violence syrienne et le projet de « grande Syrie »
Il se penche ensuite sur la « sortie » de la guerre : comment s’est-elle faite ? Comment les Libanais ont-ils retissé les liens entre eux ? Il aborde aussi l’assassinat de Rafic Hariri –« un meurtre fondateur »- et la « révolution du Cèdre », une révolution restée inachevée.
Il parle enfin du « vivre-ensemble », liant les deux notions de citoyenneté et de pluralisme, de la nécessité d’une nouvelle culture, la « culture du lien, et d’une « voie arabe » vers la modernité à la lumière du « printemps arabe ».
Il se termine sur cette question : peut-on espérer un avenir de paix pour le Liban et le monde arabe ?
SAMIR FRANGIÉ
Chercheur et journaliste libanais, Samir Frangié a collaboré avec plusieurs journaux au Liban (L’Orient-Le Jour, As-Safir et An-Nahar) et en France (Le Monde diplomatique, Africasie) et participé à la création de centres de recherches, notamment les Fiches du monde arabe, et « The Lebanese Studies Foundation ». Engagé dans l’action politique, il a fait partie, durant la guerre libanaise, du Mouvement national, puis a participé à la création du Congrès permanent du dialogue libanais et de la « Rencontre libanaise pour le dialogue » consacrée au dialogue islamo-chrétien. Membre fondateur du Regroupement de Kornet Chahwane, il a contribué à jeter les bases de l’opposition plurielle au nom de laquelle il annoncera, en 2005, « l’intifada de l’indépendance » qui conduira au retrait des troupes syriennes du Liban. Député de 2005 à 2009, il est membre de la direction du mouvement du 14 mars.
La guerre s’invite partout où elle peut, puisant dans les instincts comme dans le ressentiment et la peur. C’est ce que nous rappelle l’intellectuel et politicien libanais Samir Frangié dans son récent Voyage au bout de la violence . Il se demande comment ses compatriotes, autrefois réputés pour leur art de la cohabitation, ont pu s’entre-tuer dans une guerre d’une sauvagerie inouïe, entre 1975 et 1989. Témoin précieux et lucide de toutes les convulsions d’un pays encore blessé, Samir Frangié fonde son analyse sur la violence mimétique – un concept de l’anthropologue René Girard. En d’autres termes, chaque belligérant estime avoir été lésé le premier et prétend laver l’affront en contre-attaquant, occasionnant un cercle vicieux de la violence. L’intellectuel maronite décrit ainsi, sans parti pris, comment chrétiens et musulmans en sont venus à se dresser les uns contre les autres, à se haïr et se combattre. Il n’oublie pas de rappeler à quel point l’engrenage fut alimenté par les intérêts stratégiques des voisins syrien et israélien.
Militant du Mouvement du 14 mars – un parti composite dirigé contre l’étau syrien, né en réaction à l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 –, l’auteur voit les sources de la violence dans les années 60, la grande époque de modernisation du pays et des institutions, au moment où se dissolvent les structures traditionnelles de la société, jusque-là garantes du contrôle social autant que de la place dévolue à chacun. Dans le Liban «moderne», les jeunes se trouvent d’un coup en compétition les uns avec les autres, dans un climat désécurisant de mondialisation naissante. A l’heure du réveil identitaire des communautés religieuses, les voilà prêts à intégrer un nouveau refuge: les milices…
«Le contraire de la guerre n’est pas la paix, mais le lien entre des individus appartenant à des communautés et des groupes différents», prévient Samir Frangié. Ce remède de cohabitation à la libanaise doit permettre la réalisation d’un Etat civil formé autant d’individus libres et égaux que des communautés religieuses ouvertes les unes sur les autres. Sa vision stimulante d’un «Etat non communautaire et non laïc» rénove avec subtilité l’ancien pacte magique du «vivre ensemble» libanais. Un «vivre ensemble» incarné à merveille par le vieux Beyrouth, lacis de ruelles dévolues au commerce, lieu de rencontre entre communautés, havre de paix. Ce vieux centre hautement symbolique que détruisirent en premier lieu les milices en 1975.
Dans son livre « Voyage au bout de la violence », Samir Frangié, un intellectuel et homme politique libanais, revisite quarante ans d’histoire tragique du Liban. De la guerre civile au sursaut de 2005, lorsque les Libanais ont réagi en masse à l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri et ont obtenu le départ des Syriens du Liban. Un événement précurseur des révolutions arabes et surtout de la révolte syrienne contre la dynastie Assad, responsable de tant de crimes au Liban.
Cet ancien député très critique vis-à-vis du système politique libanais, qui en a beaucoup vu et continue d’être actif dans la coalition antisyrienne du 14 Mars, se demande surtout comment faire émerger, au Liban, « l’idée du ‟vivre-ensemble” par opposition à celle de coexistence communautaire jusque-là dominante ».
Cela passe sans doute, sur un plan géopolitique, par le succès du soulèvement syrien que Samir Frangié appelle de ses vœux. Il s’en explique dans un entretien avec Rue89 lors d’un passage à Paris.
Rue89 : Quelles sont les conséquences de la crise syrienne sur le Liban ?
Samir Frangié : Dans la guerre libanaise, c’est-à-dire au cours des quarante dernières années, ce régime syrien a joué un rôle essentiel. S’il faut répartir les responsabilités, il doit en assumer 70%, et les 30% restant aux Libanais, leur manque de maturité, etc.
Je n’ai pas peur personnellement que les événements de Syrie aient des répercussions sécuritaires au Liban. Mais une des questions posées par la chute annoncée de ce régime est : qu’allons nous faire, nous Libanais ?
Nous pouvons aller dans deux directions :
soit reprendre nos guerres permanentes et perpétuelles ;
soit choisir une paix permanente et perpétuelle !
Ce choix n’est pas encore tranché. Je dirais même que si on laisse les choses à leur cours habituel, la chute du régime syrien ne serait qu’une étape dans ce processus de guerre permanente au Liban.
Le Hezbollah et ses alliés vont être affaiblis par la chute de ce régime, le 14 Mars [coalition antisyrienne, ndlr] pourra s’estimer victorieux. Mais en pensant de cette manière, nous sommes en train de préparer la reprise tôt ou tard de ce conflit permanent.
L’autre choix, qui n’est pas encore élaboré ou suffisamment réfléchi, c’est de dire : on arrête, on fait la paix. Et pour cela il faut que nous bâtissions un ‘vivre-ensemble’ aux conditions de l’Etat et pas d’une communauté particulière.
Il faut réhabiliter cet Etat et le libérer du carcan communautaire dans lequel il se trouve, jeter les bases d’un Etat civil. C’est une période charnière.
En attendant le dénouement en Syrie, est-ce le statu quo au Liban, ou certains préparent-ils l’après Assad ?
Les forces politiques en général, toutes orientations confondues, avancent lentement. On a au Liban, comme dans le reste du monde arabe, des partis anciens sur une réalité nouvelle. Il y a l’émergence d’une société civile importante au Liban comme dans le reste du monde arabe. Il y a donc une course entre les partis traditionnels et une jeunesse plus mobilisée.
La question syrienne a beaucoup mobilisé la jeunesse libanaise. Il faut dire que les Libanais ont redécouvert la Syrie, le peuple syrien, à l’occasion de ces événements. On avait deux sociétés qui se tournaient totalement le dos, un peu comme la France et l’Allemagne pendant des dizaines d’années.
Il y a un phénomène d’empathie fabuleux, une énorme compassion, qui se traduit par des actions de soutien, d’appui. C’est cette jeunesse qui pourrait faire basculer les choses.
Interrogations chiites
Et comment le camp du Hezbollah, allié à la Syrie, vit-il cette situation ?
Il y a un grand questionnement au sein de la communauté chiite. Historiquement, l’élément central du chiisme est de combattre l’oppression, et donc cela pose au Hezbollah des problèmes énormes de se retrouver dans le camp des oppresseurs.
On a ainsi vu sur Facebook un groupe de soutien aux habitants de Homs, créé par quelques jeunes en majorité chiites, qui se sont vite retrouvés des milliers.
Quelque chose bouge. Même au niveau du Hezbollah lui-même : il existe, comme dans toutes les expériences miliciennes, un esprit mafieux qui commence à dominer dans les régions qu’il contrôle, notamment dans la banlieue sud de Beyrouth, avec la drogue, la prostitution, les trafics... Ce parti paye le prix de cette évolution, et reconnait lui-même que c’est à l’Etat de remettre de l’ordre.
Vous parlez de ‘chute annoncée’ du régime syrien : vous ne croyez pas à sa possible victoire par la force ?
Non. A chacune de ses victoires, comme à Homs, c’est reparti dans un autre quartier. Il ne peut pas y avoir de coup décisif dans cette lutte. Les deux camps ont le dos au mur, ils ne peuvent plus reculer. Si l’opposition recule elle se fera massacrer.
Un changement de régime en Syrie est-il nécessairement à l’avantage du Liban ?
Samir Kassir [journaliste libanais assassiné par la Syrie en 2005, ndlr] avait initié ce débat en liant l’indépendance du Liban à la démocratie en Syrie. Il disait qu’un régime démocratique en Syrie ne pouvait pas faire ce qu’a fait la Syrie dans notre pays.
Mais depuis, on a essayé de faire peur aux Libanais en disant : ‘Si ce régime tombe, on ne sait pas ce qui va arriver, les minorités sont en danger, etc.’
Personnellement, je pense que si un régime salafiste arrivait au pouvoir en Syrie, hypothèse hautement improbable, il ferait beaucoup moins de tort qu’un régime ‘laïque n’en a fait au Liban et dans toute la région.
Vous ne partagez donc pas les craintes exprimées, notamment par une partie des chrétiens syriens, sur un possible pouvoir islamiste à Damas ?
Il y a des risques de guerre civile entre sunnites et alaouites, pas avec les chrétiens. Et dans l’opposition commencent à émerger des figures chrétiennes, comme Michel Kilo ou Georges Sabra.
La Syrie n’est pas dans le cas du Liban. Il y a un sentiment national syrien, sauf dans le cas des Alaouites, qui sont directement concernés par le maintien de la dictature.
Nostalgie du printemps de Beyrouth
Le Liban a semblé le moins concerné par la vague du printemps arabe, comment l’expliquer ?
Le printemps libanais [de 2005, après l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, ndlr] a été précurseur. La première fois qu’on a commencé à parler de manifestations de masse, c’est à Beyrouth en 2005.
Le printemps de Beyrouth a été freiné par une réaction très forte de la Syrie et du Hezbollah, et par les erreurs commises par le mouvement du 14 Mars qui n’a pas su aller jusqu’au bout.
Avec le printemps arabe, il y a un réveil du printemps libanais. Lors de la place Tahrir, au Caire, tous ceux qui ont participé au printemps de Beyrouth ont retrouvé les mêmes sensations et ont suivi ces événements avec sympathie et nostalgie.
Votre livre plaide pour un vivre-ensemble’ libanais réinventé : n’est-ce pas une utopie ?
On m’accuse d’être un optimiste invétéré... Si on observe le parcours libanais, d’une guerre si longue, jusqu’au soulèvement de 2005, tout est possible. Le tout est d’y croire.
Les gens n’ont pas changé d’identité ou d’appartenance communautaire, mais ils ont compris qu’ils devaient faire avec. Tout en restant identitaires, ils ont commencé à découvrir l’autre. C’est le seul remède à cette situation.
Les gens gardent une énorme nostalgie pour les retrouvailles spontanées qui se sont produites en 2005 à Beyrouth. C’est un moment unique dans leur histoire, qu’ils ne sont pas prêts d’oublier, et qu’ils ne savent pas trop comment traduire en politique.
Mais le fait de retrouver ‘l’autre’ est un événement fondateur, sur lequel on ne peut plus revenir. Malgré tous les efforts faits par le Hezbollah ou la Syrie pour revenir à la période de la guerre, avec beaucoup d’armes, personne de l’autre côté n’a songé à se réarmer. C’est fini, c’est une page tournée.
Samir Frangié est connu comme journaliste politique (An Nahar, As Safir…), créateur de centres de recherches (The Lebanese Studies Foundation entre autres), et comme analyste et écrivain. Proche de Ghassan Tuéni et du regretté Samir Kassir, il est membre de la direction du Mouvement du 14 mars après avoir contribué à la création d’une opposition plurielle à l’origine de « l’intifada de l’indépendance » de 2005. Comme en témoigne la photo de couverture de cet ouvrage, qui le représente comme une sorte de penseur de Rodin, Samir Frangié est aussi un penseur qui n’a cessé de réfléchir au contrat social libanais, et à la violence qu’il tend à civiliser plus qu’à surmonter.
La violence, il la connaît d’abord durant l’enfance, dans son entourage, où beaucoup de proches sont assassinés. Il la connaîtra plus tard à travers les crimes visibles et invisibles de la guerre civile, qui a duré de 1975 à 1990, puis à travers les assassinats perpétrés depuis l’autre côté de la montagne libanaise contre le Premier ministre Rafiq Hariri et bien d’autres. La violence, il essaie aussi de la saisir dans ce livre qui est un travail (et non pas un devoir) de mémoire sur lui-même, ce qui lui permet de rappeler les étapes d’un parcours personnel et collectif qui rythme l’histoire libanaise. Mais de ces événements destructeurs ou fondateurs, fauteurs de mort ou sursauts de vie, il retient moins les intempéries du mal que les moments susceptibles de contribuer à l’émergence d’un bien commun.
Cette conviction que le bien l’emporte nécessairement sur le mal est le nerf d’une pensée politique du contrat social, mais d’un contrat « asymétrique » selon lequel, dans un esprit proche du « paradoxe politique » de Paul Ricœur, du plus grand bien, de la volonté de vivre ensemble, peut naître le plus grand mal, la pire des dominations.
Cette traversée de la violence, ce miroir du Liban est une invitation, indissociable de l’esprit de « l’intifada de l’indépendance », à saisir la constitution possible d’une communauté politique libanaise ne reposant pas sur la seule dynamique communautaire. Samir Frangié ne fait pas pour autant l’éloge d’un individualisme absolu, il distingue « l’être ensemble communautaire » et « le vivre ensemble politique » : celui-ci n’annule pas le premier mais interdit qu’il soit un facteur d’assujettissement. Ce livre courageux est un « acte de foi » dans un Liban dont les exigences démocratiques singulières et la dure histoire ne font pas une exception historique.
Acteur et témoin de la vie politique libanaise, Samir Frangié analyse les raisons de la violence endémique dont souffre le Liban contemporain. Et l\'avenir du vivre en commun.
Samir Frangié a été un acteur et témoin de la vie politique libanaise de ces dernières décennies, aussi bien comme militant que comme conseiller et stratège des causes qu’il a soutenues. Dans ce court mais dense ouvrage, il propose, tout en suivant un plan chronologique, une série d’analyses du Liban contemporain avec quelques allusions beaucoup trop rares à sa participation personnelle aux événements. Il cherche à déterminer les conditions de sortie de la violence : le contraire de la violence n’est pas la paix entre entités communautaires ou partisanes, mais le lien entre des individus appartenant à des communautés et des groupes différents, c’est-à-dire la définition d’un projet de vivre en commun. Pour y arriver, l’acteur partisan qu’était l’auteur a d’abord dû faire un grand effort sur lui-même.
Au début de la guerre civile, la destruction du centre-ville de Beyrouth par les milices marque le début de la longue nuit libanaise, la première des guerres identitaires de la fin du XXe siècle. Cette guerre prend ses origines dans la théorie du complot partagée par tous, dans l’uniformisation paradoxale des conditions libanaises, dans l’irruption de la modernité qui dissout les structures de l’ancienne société, dans l’engrenage des représailles et des contre-représailles. La violence qui ravage le pays est un tout indivisible. En reconnaître la légitimité, à un moment ou un autre, équivaut à la justifier dans toutes ses manifestations. Or, les Libanais ne sont pas encore prêts à tout remettre en question et à assumer leurs responsabilités.
L’auteur ensuite traite avec grande intelligence du rôle d’Israël au Liban ou l’illusion de la violence décisive, puis du rêve sanglant de la Grande Syrie. L’accord de Taëf, loin de mettre fin à la rivalité entre les communautés, tel qu’appliqué par les Syriens, conduit à l’établissement d’un régime hybride marqué par un pouvoir à trois têtes et des conflits permanents qui renforcent la communautarisation de la vie politique et entraînent un blocage des institutions. Les services de renseignements libanais contrôlés directement par les Syriens jouent un rôle croissant dans le système et multiplient les atteintes aux droits de l’homme.
L’élément central de la politique syrienne a été de maintenir les Libanais dans une situation de « guerre froide » et de faire planer en permanence la menace d’une « guerre chaude » en interdisant le travail de mémoire, en réduisant l’histoire du Liban à celle de la violence communautaire, en identifiant l’arabité à la politique de Damas.
Les tentatives de dialogue durant la guerre ont été les premières esquisses de sortie de la violence. Après Taëf, les contacts sont renoués au grand mécontentement de la Syrie. Le rôle du patriarche Sfeir a été essentiel ainsi que celui de l’imam Chamseddine. Le retrait des forces israéliennes du Liban-Sud en 2000 prive le régime syrien d’un argument majeur en faveur du maintien de son armée au Liban. L’auteur évoque son rôle dans le rassemblement de Kornet Chehwane qui regroupe l’opposition chrétienne sur une base nationale et non communautaire. En 2004, Hariri se rapproche de ce groupe dans une commune opposition au renouvellement du mandat d’Émile Lahoud. Un vaste mouvement d’opposition est en train de se coaliser quand Hariri est assassiné le 14 février 2005.
C’est le meurtre fondateur de la révolution du Cèdre qui marque la volonté et le désir des Libanais de revivre ensemble. La dernière partie est consacrée à la révolution inachevée du 14 mars. Samir Frangié ne dissimule pas ses erreurs stratégiques et tactiques, mais pose la division en deux blocs comme étant de nature culturelle, une vision qui privilégie l’individu et estime que son épanouissement est lié à son ouverture sur l’autre, donnant la priorité au « vivre-ensemble », l’individu ne pouvant devenir lui-même que s’il y a un autre, et une autre axée sur le groupe et qui considère que la différence est une source permanente de menace, la survie du groupe ne pouvant se faire que dans le rejet de l’autre et ne pouvant être préservée que dans le repli sur soi.
Dans les dernières pages, l’auteur revient sur la notion d’État civil, mot-clef des révolutions de 2011. On n’a présenté ici que quelques idées maîtresses d’un livre d’une extrême richesse. Que ce soit une incitation à le lire !
La publication par Samir Frangié de son livre « Voyage au bout de la violence », l’organisation d’un colloque sur les traumatismes de la guerre et leur résolution, le printemps arabe, ses promesses et ses risques, sont autant de sujets qui ramènent à une question fondamentale : Comment rebâtir un Liban plus durable ?
Dans son livre Voyage au bout de la violence, prix Phoenix du dernier Salon du livre, dans le pathétique premier chapitre, Samir Frangié parle d’une «mémoire en folie», d’une «vision déformante» du passé, qui a conduit les Libanais à l’abîme. Je dis les Libanais, comme s’il s’agissait d’une race autre que celle dont je fais partie. Il faudrait dire qui nous a poussés à nous entre-tuer ; et par là assumer personnellement, même indirectement, ces massacres qui ont fait la guerre, qui l’ont tissée comme on tisse un filet, ou comme on tend un piège.
Ces massacres n’étaient pas orphelins. Ils venaient de quelque part. La barbarie qui les marquait avait une origine, une famille, un prénom. Samir Frangié tente d’en établir l’arbre généalogique. Il parle d’une de ses premières branches, la tuerie de Miziara en 1957. Ce règlement de comptes tribal qui a fait une centaine de victimes est resté impuni et a avalisé, et comme banalisé, les massacres, comme méthode de règlement des conflits.
Ces massacres qui ont fait – ou défait – le Liban, il faudrait des livres pour les écrire, car ils remontent plus loin. Ils nous mettraient à nu, une fois pour toutes, devant la déformation du passé qui les marque et la violence qui nous hante collectivement, nous, tribus en principe assagies et relativement civilisées.
Cette distinction entre sociétés et individus est capitale. Car pris individuellement, il y a parmi nous des hommes et des femmes de paix, de silence, d’honnêteté travailleuse, de vigilance et d’amour. Mais ils sont enfouis dans une mauvaise pâte. Ils sont comme des raccourcis saisissants qui résument un paysage, sans l’explorer. Comme ces cartes postales qui, de loin, reproduisent un site beau à couper le souffle et qui, quand on s’en approche, montrerait ses saletés qui traînent, ses reliefs de festins, papiers, mouchoirs, boîtes vides, bois charbonné que nous abandonnons aux climats.
La « descente aux enfers »
Il n’est donc pas question ici d’individus, mais d’une société de violence potentielle aux règles de comportement bien distinctes ; d’une société qui ne serait comprise que dans l’interdisciplinarité, entre histoire, politique, psychologie sociale et psychanalyse. D’une société dans laquelle se réveille une mémoire traumatisée, des réflexes conditionnés, des mécanismes de défense ataviques, des sources de crainte et de violence, filets d’eau qui se rejoignent pour former un torrent irrésistible. Ce que Samir Frangié appelle « descente aux enfers », l’irrésistible spirale qui nous a conduits au fond du gouffre.
C’est de cette violence fondamentale, celle des sociétés et non des individus, même si c’est aussi un peu celle des individus, qu’a parlé à Jbeil, dans le cadre d’un colloque de trois jours sur la guérison des blessures de la mémoire, le psychanalyste d’origine turque, Vamik Volkan, qui a notamment travaillé avec le président américain Jimmy Carter, sur le conflit israélo-palestinien. Son exceptionnelle compétence, la clarté de ses concepts sur les traumatismes collectifs et leurs mécanismes de transmission ont rayonné tout au long du colloque. Il décrit avec une effrayante précision ce processus de descente aux enfers qui est une pathologie sociale dont les exemples de sont multipliés aux quatre coins du monde, du Rwanda à la Bosnie ; cette descente qui transforme les humains en une société animale aux comportements mimétiques – le mimétisme n’est-il pas le propre de l’instinct animal ? Cette descente qui a passé par une déshumanisation de l’adversaire et qui a permis à des Kosovars « orthodoxes » de mettre un Bosniaque musulman en brochette, comme un kebab.
Ne nous indignons pas face à des hommes qui nous ressemblent comme deux gouttes d’eau. Nous avons eu nos propres atrocités. Nous avons enterré vivants des hommes et des femmes d’un autre peuple, quand nous avions cru notre espace vital menacé, quand les souvenirs de conflits irrésolus, qu’on nous avait instillés avec le lait maternel, ont ressurgi. Des conflits aussi anciens que celui qui a conduit aux massacres de 1860, et dont nous ne gardons qu’une seule leçon, caricaturale : les druzes sont gens de dissimulation chez qui il faut déjeuner et non dîner, entendre passer la nuit, parce qu’ils pourraient traîtreusement vous égorger dans votre sommeil !
Langue de bois
De tout ce qui s’est dit dans ce colloque d’une très grande richesse, je voudrais – conscient de l’injustice que je fais à beaucoup d’intervenants – retenir ici quelques moments singuliers de la première journée. J’aimerais citer en particulier la psychiatre Reina Sarkis, quand elle a exprimé son désaccord total avec le mot de présentation du ministre de l’Éducation nationale, qui avait déplissé notre histoire sous le fer de sa langue de bois, et parlé du Liban comme d’un pays champion du dialogue des cultures et des civilisations, entre gens mûrs et cultivés. Une fable que la guerre a démentie, et à laquelle nous sommes attachés, par une forme de déni de notre propre violence, alors même qu’il suffit de tendre l’oreille aux jeunes (et aux moins jeunes), pour savoir que la violence continue de nous habiter comme un volcan en activité qui ne laisse voir de sa lave qu’un filet de fumée ornemental.
Laissées à elles-mêmes, pense Reina Sarkis, les années de calme que nous vivons ne sont que les années de gestation d’une nouvelle guerre, de nouvelles violences. Faute d’avoir fait notre véritable travail de mémoire, de vérité et de pardon, les blessures sont là, prêtes à se reproduire et à nous contaminer. Non, nous n’avons pas encore fait l’apprentissage des voies de la paix, encore moins de notre deuil. Les victimes de la violence continuent d’errer dans leurs souvenirs, faute de voir leurs souffrances reconnues et leurs frustrations apaisées. Dorment encore en nous des blessures toxiques, des réflexes de rancune qui, transmis d’une génération à l’autre, pourraient nous transformer à nouveau en une société animale – loups ou scorpions – gouvernée par des instincts de horde, de survie et de reproduction de l’espèce. On l’a encore vu dernièrement avec le surgissement de violence verbale des proches de la jeune Myriam Achkar, massacrée à Sahel Alma, à l’idée que son meurtrier syrien puisse être soustrait à la justice libanaise.
Un drapeau qui dort
Que faire de nos mémoires en folie ? Que faire de nos souvenirs conflictuels? Que faire quand une même année, 1920, porte pour les maronites le souvenir du traité de Versailles et la création du Grand Liban, et pour certains chiites celui de la défaite de Mayssaloun face aux troupes françaises ? Que faire pour empêcher nos conflits irrésolus de se retourner contre nous, par un effet boomerang, et balayer en un instant des années de patience et d’efforts? Que faire pour que tout le dialogue islamo-chrétien ne soit pas à reprendre chaque fois qu’une église d’Égypte est incendiée? Que faire quand on nous prêche la soumission aux tyrans en échange de la vie? Le Liban se relèvera-t-il d’avoir perdu la place des Canons, espace de brassage social et communautaire sans pareil? Comment ne pas priver les victimes de leurs souvenirs, sans nous faire les otages du passé?
La tâche n’est pas facile. En 1994, trois ans après le vote au Liban d’une loi d’amnistie qui fut une « loi d’amnésie », Desmond Tutu, évêque anglican du Cap, engageait son pays dans un pari sans équivalent dans l’histoire des nations : refusant l’oubli des crimes d’apartheid, mais aussi un procès qui aurait provoqué le chaos, il organisa une incroyable opération de prise de parole, dans laquelle victimes et bourreaux pouvaient témoigner des horreurs de la guerre des races qui avait fait rage. Pendant quatre ans, à la tête de la commission Vérité et Réconciliation, ce chrétien accueillit les plus terribles dépositions, aidé des milliers de gens à révéler leurs traumatismes, et ne cessa de les accompagner sur la voie du pardon.
Pas d’avenir sans pardon
Cette expérience éprouvante et unique, Desmond Tutu la raconta dans un livre au titre prophétique : Il n’y a pas d’avenir sans pardon. « La solution, écrivait l’archevêque dans son ouvrage, n’était pas parfaite, mais c’était la meilleure possible étant donné les circonstances: la vérité en échange de l’amnistie.
«Et la justice dans tout ça?» peut-on se demander. Le Prix Nobel de la paix 1984 en a parlé dans les termes suivants: «Si nous avons le sentiment que la justice n’a peut-être pas été rendue, c’est tout simplement parce que nous concevons uniquement une justice punitive (...) Je soutiens qu’il existe une autre forme de justice, une justice réparatrice qui était le fondement de la jurisprudence africaine traditionnelle. Dans ce contexte-là, le but recherché n’est pas le châtiment ; en accord avec le concept d’ubuntu (mot africain assimilé par l’archevêque à la justice réparatrice), les préoccupations premières sont la réparation des dégâts, le rétablissement de l’équilibre, la restauration des relations interrompues, la réhabilitation de la victime, mais aussi celle du coupable auquel il faut offrir la possibilité de réintégrer la communauté à laquelle son délit ou son crime ont porté atteinte (...) Dans cette optique, on peut dire que justice a été rendue lorsqu’on a travaillé activement à la réparation, au pardon, à la réconciliation. »
L’ancien archevêque du Cap n’a pas caché les limites et les imperfections qui ont accompagné ce processus. L’idéal si noble de la justice réparatrice ce fut l’État, avec ses limites bureaucratiques et financières qui en prit la charge, avec des résultats plus ou moins heureux, de sorte que les bourreaux bénéficièrent de l’amnistie bien plus rapidement que les victimes de leurs indemnisations.
Justice réparatrice
Avec plus ou moins de bonheur, le modèle sud-africain fut reproduit ailleurs dans le monde. Dans certains cas, des tribunaux internationaux prirent sur eux de rendre une justice punitive, dans des conflits où des crimes contre l’humanité avaient été commis. Au Liban, rien n’a encore été fait pour résoudre le conflit, ni justice punitive ni justice réparatrice. Les mères des disparus de la guerre meurent, l’une après l’autre, place Riad el-Solh, sans nouvelles de leurs enfants. Le seul processus apparenté à une justice réparatrice à avoir eu cours concerna les déplacés, avec de véritables processus de réconciliation, mais aussi les discriminations et injustices propres au clientélisme politique. Par contre, sur les crimes innombrables et sans nom commis durant la guerre, à l’exception de ceux qui avaient visé des personnalités-symboles politiques et religieuses, l’éponge fut passée.
Contrastant avec la pauvreté de ce modèle de sortie de guerre libanais, et malgré ses limites, le modèle sud-africain de réconciliation nationale reste bien plus valable. Grâce à lui, on peut estimer établi que le devoir de mémoire va de pair avec le devoir de justice, fût-elle réparatrice et non punitive.
À cet égard, et le colloque de Jbeil n’en a pas parlé, il est frappant de noter combien le concept africain d’ubuntu, dont parle l’archevêque du Cap, est proche de ce que dit l’Église du sacrement de confession. En effet, le pardon chrétien ne s’arrête pas à l’absolution obtenue au confessionnal, mais engage le pénitent à réparer le tort qu’il a fait. Et la pénitence, après le pardon, doit être un signe visible de regret et de profonde conversion. Car parmi les torts infligés dans les guerres, il en est de matériellement irréparables. Comment rendre un fils ou un époux tué à sa mère ou à son épouse? Comment rendre sa santé, son équilibre psychologique ou sa raison à un prisonnier torturé?
La réponse à cette question fondamentale est double. Sur le plan social, la justice passe nécessairement par la réparation, mais celle-ci se fait obligatoirement dans un autre ordre et sur un autre plan que celui où le tort a été infligé. La réparation peut être matérielle, tout en se doublant, sur le plan individuel, d’une autre, plus élevée, basée sur le recours à des valeurs plus hautes. On en a vu un exemple au colloque de la LAU, où un militant de l’armée républicaine irlandaise (IRA) et la fille de l’une de ses victimes ont témoigné ensemble de la possibilité humaine du pardon et de la réconciliation, non sans souffrance.
Le martyr des frères Massabki
À cette dimension humaine on pourrait en ajouter une autre, transcendante, dont on trouve le modèle dans les martyrologues. Le récit du martyre des trois frères Massabki, à Damas, lors des massacres de 1860, en offre un bel exemple, proche de nous. Traqués dans leur dernière retraite, les trois frères, élevés au rang de bienheureux par l’Église catholique, s’offrirent à leurs tueurs à l’intérieur de l’église où ils s’étaient réfugiés, aux pieds de l’autel où se commémore le souvenir d’un autre martyre. Là, l’atrocité de l’homicide fut amortie, et comme abolie, dans un pardon dont la force détruisit le cycle de la violence en humanisant à nouveau le bourreau. C’est l’idéal, le sommet que doit s’efforcer d’atteindre tout effort de paix.
La paix est un bien en soi. « La guerre est une défaite pour l’humanité », a dit Jean-Paul II, quelques jours avant que les États-Unis n’attaquent l’Irak (2003). C’est là une idée très haute de l’humanité, car nous savons bien que la violence est tapie en nous. Et c’est l’ignorance de cette règle et, pour tout dire, de cette anthropologie bien particulière qu’est l’anthropologie chrétienne, qui fausse toutes les idéologies de « progrès » et en fait des croyances meurtrières. Le temps de s’en rendre compte, il est déjà trop tard, et des générations entières ont déjà été sacrifiées sur l’autel d’un changement utopique venu de l’extérieur de l’homme, par coercition.
C’est la vérité qu’expose le philosophe Nicolas Berdiaev, et que Samir Frangié atteint, sans l’identifier nommément. On n’en a jamais fini de la violence, dit-il dans son chapitre conclusif, comme pour dire qu’on n’en finira jamais de la nature humaine. Le philosophe russe, après saint Paul, nous dit pourquoi. Et, ce faisant, c’est toute la problématique de la transformation du monde qu’il pose, celle-là même qui a enflammé le XIXe siècle avec Proudhon, Auguste Comte, Feuerbach et surtout Marx, et dont les schémas erronés ont endeuillé les steppes glacées de la Sibérie de Staline et les champs de la mort du Cambodge de Pol Pot.
Le « vieil homme »
« Toute grande révolution, écrit Berdiaev, a la prétention de créer un homme nouveau. Or la création d’un homme nouveau est une entreprise infiniment plus grande, plus radicale que la création d’une société nouvelle. On voit bien, à la suite d’une révolution, se constituer une société nouvelle, mais on chercherait en vain l’homme nouveau. C’est en cela que consiste la tragédie de la révolution, son échec fatal. On peut dire que toutes les révolutions ont, dans une certaine mesure, échoué par la faute du vieil Adam qui réapparaît sous un vêtement neuf à la fin de chaque révolution. C’est le vieil Adam, l’homme du péché, qui fait aussi bien la révolution que la contre-révolution. » De l’esclavage et de la liberté de l’homme, Nicolas Berdiaev, p. 253, DDB,1990).
C’est exactement la raison pour laquelle le printemps arabe ne doit pas être idéalisé, mais tenu en respect et doté de lignes directrices bien claires, comme le propose le patriarche maronite, assisté dans sa tâche par Amine Gemayel. Est-ce possible ? Ce n’est pas sûr, mais il faut le tenter, tout en relativisant, au nom d’une anthropologie chrétienne qui sait, elle, comme Jésus le savait, « ce qu’il y a dans l’homme » – entendre choses nobles et choses inavouables – l’impact que ce printemps pourrait avoir sur les saisons qui suivront. C’est à cette conditions que nous nous défendrons du découragement qui provient des « lendemains qui déchantent », dont nous avons tous senti la morsure après le printemps de Beyrouth, et que dans la mesure de ce qui est humainement possible, nous construirons pour nous et nos enfants un avenir raisonnable. Un avenir où nous retrouverons, la « douceur du vivre ensemble », pour citer Samir Frangié au Salon du livre, et où entrera en gare le train de la violence, dont les voyageurs pourront enfin descendre à quai.
Alexandre Najjar
Cet essai biographique reconstitue l’itinéraire de Kadhafi depuis sa naissance sous une tente en Libye jusqu’à la répression sanglante de son propre peuple et l’opération « Aube sur l’odyssée » avalisée par l’ONU. Il nous dévoile toutes les facettes de ce colonel aussi ubuesque que sanguinaire, et nous prouve à quel point le dictateur libyen ressemble à ses sinistres devanciers : Hitler, Mussolini ou Idi Amin… Il fallait tout le talent d’Alexandre Najjar pour bien camper ce personnage de roman qui défie la raison et dépasse l’imagination.
Bassam Hajjar
Lire Hajjar est hypnotique alors même que sa poésie se nourrit d’ombres et de rien. Poète de l’absence, du processus et du passage, il désagrège le monde en états divers de la poussière jusqu’à décliner les nuances du vide. Puis il s’absente pour que le monde existe dans son poème.
Tu me survivras, paru chez Actes Sud-Sindbad/ L’Orient des livres, offre pour la première fois au lecteur la traduction en langue française des poèmes de Bassam Hajjar. La préface de cette anthologie, signée Abbas Beydoun, esquisse un portrait croisé de Hajjar et de la poésie hajjarienne, dans une connivence fervente, un respect tendre et digne envers le génie poétique que fut Hajjar. Cette anthologie, hommage posthume et assurément admiratif fait par les poètes et intellectuels amis de Hajjar, est bel et bien un présent posé sur l’absence du poète libanais décédé en 2009 : offrande à la mémoire d’un homme discret et érudit ayant maîtrisé l’art d’habiter l’ombre plutôt que le corps dont l’ombre procède. Offrande au lecteur qui ne peut que réaliser le manque qu’il a eu, sans le savoir, de ces poèmes avant d’en avoir eu connaissance.
« C’est l’état de celui qui a habité sur le bord, il ne tombe pas, mais sa plus forte espérance est de tomber lourdement vers la légèreté de ce qu’il ignore. (…) J’étais mort, le calme autour de moi m’enchantait, ainsi que l’absence qui était devenue mon lieu, et l’obscurité qui m’avait bien accueilli (…) et la poussière n’est pas du temps, comme je l’ai cru, elle n’est pas un lieu, comme je l’ai également cru, mais l’état où se sont installés les épines et les arbres, où se sont installés ceux qui partent vers une attente, vers un vœu d’attente dont l’attente ne passe pas. (…) Et j’attends. Je n’ai que l’attente d’elle. J’y habite./ Son absence n’est pas du temps. C’est le lieu où je ne suis pas. Bien que je ne sois nulle part ailleurs. (…) Parmi les instants, chaque instant n’est pas le temps. Seulement les plaisirs d’un moment éphémère, et il me sera donné d’exister comme il ne l’est à aucun être./ Hormis cela, il n’y a qu’états de la poussière. »
Auteur de douze recueils de poèmes, journaliste, fin connaisseur de la langue arabe, féru de philosophie et de roman mondial, Bassam Hajjar fut aussi un traducteur exceptionnel qui a donné à lire en arabe près de soixante œuvres signées Echenoz, Kawabata, Borges et Heidegger pour ne citer que ceux-là. L’écriture de Hajjar est telle qu’elle est à la fois ce qu’il y a de plus simple et de plus complexe, de plus familier et de plus étrange, de plus classique et de plus novateur. Il s’exerçait par son poème à habiter l’absence ; non seulement celle des objets et des êtres chers, mais avant tout son absence propre. Sa poésie quant à elle se démarque par un talent unique et émancipé de tout ce que la poésie arabe contemporaine a offert de meilleur. L’éditeur et le préfacier de Bassam Hajjar concentrent la poésie hajjarienne autour d’un thème unique, celui de la maison, voire de la chambre ou même de la porte de la chambre au seuil de laquelle le poète rend présent le monde avec ses bruits, ses gens et ses souvenirs. Le thème unique du lieu rétréci est aussi le thème de la mort. Bassam Hajjar fait que s’absente même l’absence, alors il la rétrécit et l’anéantit pour que ne reste d’elle que sa douleur puis seulement l’absence de cette douleur. C’est ce vide-là qu’il inscrit, le vide que laisse la présence quand elle a fini d’imprégner le monde. L’écriture de Hajjar procède d’une réflexion assidue dont la philosophie n’est pas sans rappeler la pensée extrême-orientale.
« Comme si quand nous partons, c’était la maison qui nous quittait,/ (…) Qui est l’absent ?/ Les choses sont à leur place sauf toi/ les choses sans toi/ te cherchent là où tu n’es pas./ (…) car les maisons que nous quittons/ délaissent leurs murs/ leurs seuils, leurs entrées surpeuplées de vide,/ et les maisons nous quittent/ et nous revenons habiter leur absence. »
Étonnamment, ce n’est pas seulement une poétique ou une philosophie du thème unique que nous avons perçues à la lecture de cette anthologie d’ailleurs si finement traduite par Nathalie Bontemps qu’elle trouble un peu la langue française par sa tessiture. Bassam Hajjar est aussi le poète du rêve, de l’illusion, des grands espaces, de la ville, des humeurs, des natures mortes et des passants qui passent. Il est aussi le poète des mains délicates : celles de l’aimée, de la petite fille, du père, de l’inconnu sur la pierre tombale. Seulement la manière de Hajjar de dire et vivre l’amour est si différente de ce qui est communément attendu que le thème se voile dans son écriture et se mêle aux états de la poussière.
« Petites sont tes mains, mais elles contiennent mon corps tant il s’est amenuisé, tant tu es présente dans mon absence. Je n’ai pas peur à présent qu’un rêve gris m’emporte vers un gouffre sans fond, je sais que la paume de ta main droite m’ouvre une porte vers le double de la lumière, et que mon visage conserve, comme un embrasement, le contact de ta paume gauche. Étais-je absent à ce point ? Je veux dire que je ne trouvais personne pour me conduire vers mon sommeil. (…) Il a suffi que tu soulèves, d’une caresse, le marbre du lourd sommeil. Et que tes mains m’emportent, pas tant que ça, juste à la mesure à laquelle je vis. Il a suffi que tu essuies mes lèvres du bout de ton index pour que parler cesse de me faire souffrir. »
La poésie en somme est possible chez Hajjar par la médiation de l’amour. Seulement même essentiel, l’amour ne maintient pas le poète au bout du fil ténu de l’existence. Car il préfère la solitude et la douleur au bonheur puis délaisse même sa souffrance pour se séparer de toutes passions. Le poème de Hajjar est une méditation sereine à partir du vide car c’est de là seulement qu’un véritable témoignage sur l’existence est pour lui possible. Un aveu si dense que le lecteur s’y sent collé comme contre une porte, puis comme contre un arbre ou un corps chaud, sans qu’il ne puisse pour autant expliquer ou dire ce qu’il a au fond de lui assurément saisi.