Outre son activité d’éditeur, il a été directeur commercial et du développement pendant de nombreuses années. Aussi a-t-il dynamisé le secteur des beaux livres et initié de nombreuses collections sur la nature et l’écologie. Il est également à l’origine de plusieurs grands rendez-vous culturels locaux, comme Jazz in Arles ou le festival Agir pour le vivant.
Jean-Paul Capitani est mort à Arles ce mardi 4 avril des suites d'une chute à vélo.
L’équipe de L’Orient des Livres présente à Françoise Nyssen, à sa famille, ainsi qu’aux éditions Actes Sud, ses sincères condoléances.
Délocalisé à Tahwita/Furn el-Chebbak mais toujours appelé BIEL, le Salon du livre francophone, organisé par l’Institut français du Liban en collaboration avec le syndicat des importateurs de livres, a été inauguré hier au cours d’une cérémonie de qualité. Il se tiendra jusqu’au 11 novembre.
Troisième Salon francophone au monde, il se veut cette année plus accessible au public. Avec une soixantaine d’exposants et à peu près 180 auteurs et autrices attendus, le salon se démarque des éditions précédentes par la présence de quinze éditeurs arabophones et par un stand de 100 m2 consacré aux cultures numériques. Vanessa Azar, responsable de ce stand, où se dérouleront plusieurs activités, explique comment cet espace permettra aux visiteurs de découvrir et d’interagir avec une sélection des meilleures initiatives libanaises qui contribuent à la valorisation des cultures numériques.
Le Salon est de plus en plus tourné vers la jeunesse. Et il s’adresse à ces jeunes non seulement à travers la bande dessinée qui a déjà depuis longtemps sa place de choix, mais par les moyens numériques, à la fois ludiques et éducatifs, par un certain nombre d’ateliers et d’animations scolaires et surtout par des activités artistiques organisées par Zoukak, ainsi que par des interludes musicaux. Enfin, prix, expositions et même cinéma achèvent de faire de cette 25e édition un événement culturel pluridisciplinaire.
Flâner dans les allées de ce Salon, c’est découvrir, avec un plaisir inédit, des stands largement achalandés et aménagés de manière spacieuse, sans cloisonnement. Ce qui témoigne de l’ouverture et de la diversité de la francophonie qui embrasse tout le monde sans distinction.
Le programme complet du Salon du Livre Francophone de Beyrouth
02/11/201885
L’épilogue de la guerre en Syrie est en train de s’écrire. Et avec lui, le récit des vainqueurs. Alors que le discours dominant tend à occulter l’origine même de ce conflit qui dure depuis sept ans, un travail de mémoire est essentiel afin de rendre, à toutes celles et tous ceux qui ont osé et osent encore aujourd’hui dénoncer un régime de terreur, ce qui leur appartient.
C’est le pari pour le moins réussi des Chroniques de la révolte syrienne, des lieux et des hommes, 2011-2015, publié par le site Creative Memory (la mémoire créative de la révolution syrienne) et l’Institut français du Proche-Orient (IFPO). Déjà disponible en arabe et en anglais, l’ouvrage l’est aujourd’hui en français et se présente sous forme de répertoire alphabétique retraçant des faits propres à cinquante villes, villages et quartiers qui ont marqué l’histoire de la révolution syrienne depuis son déclenchement en 2011.[Advertisement]À partir des balbutiements d’une protestation pacifique à Deraa, la révolte a fait tache d’huile pour gagner le pays tout entier. Le livre pointe de manière précise et documentée les différents tournants qui ont permis d’aboutir à la libération de certaines villes de l’emprise du régime, mais aussi ceux qui les ont menées à leur destruction. Le collectif à l’origine de cette cartographie du soulèvement, composé de Nada Najjar (linguiste et universitaire), Ahmad Sahli (enseignant d’arabe), Rana Mitri (traductrice), Ne’mat Atassi (professeur de français) et Fawaz Traboulsi (écrivain et professeur d’histoire), a été initié par la graphiste Sana Yazigi, fondatrice de la plateforme The Creative Memory, qui a pour vocation de répertorier toutes les expressions artistiques nées sous la révolution. Des photographies, caricatures, dessins et slogans viennent illustrer symboliquement le récit de chaque lieu.
Aller au-delà du grand récit
Ce travail de recherche plus global se basant sur diverses sources électroniques et exposé dans ce livre paraît essentiel, notamment parce qu’il permet aux historiens, chercheurs, journalistes et autres d’avoir accès aux événements tels qu’ils se sont déroulés, avant que, comme le précise Emma Aubin-Boltanski, coordinatrice à l’IFPO, l’Electronic Syrian Army ne parvienne à faire disparaître certains documents de la Toile.
En choisissant de resserrer leur angle sur certains faits précis, à partir de la date de la première manifestation pacifique de chaque lieu, jusqu’au décompte – souvent difficile à établir – des victimes, les chercheurs parviennent à montrer que, au-delà du grand récit lié aux enjeux stratégiques et diplomatiques, des centaines d’initiatives de la part de la société civile ont bel et bien émergé avant d’être étouffées dans l’œuf au gré de la militarisation du conflit. Si certaines villes sont connues pour avoir été les fers de lance de la révolution, comme Deraa, Daraya, Homs ou Hama, d’autres comme Lattaquié, sous contrôle du régime, ou Idleb, perçue par une grande partie de l’opinion publique comme un berceau terroriste, n’ont pas échappé à l’élan des manifestations pacifistes des premiers jours. Les « vendredis de la révolution syrienne » entre 2011 et 2015, minutieusement répertoriés dans cet ouvrage, rythment ces chroniques et rappellent la ferveur de tous ceux qui ont cru en cette révolution. Cependant, les éléments factuels, presque nus, ainsi apportés au lecteur auraient eu plus de sens s’ils étaient remis dans un contexte plus général permettant de mieux saisir les grands enjeux du conflit. On regrettera aussi le style général, un peu trop scolaire, qui peut rebuter une partie du grand public. Malgré le fait que le livre ne traite que des quatre premières années de la révolution syrienne, il constitue toutefois une source précieuse.
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Une présentation de Chroniques de la révolte syrienne, des lieux et des hommes, 2011-2015 aura lieu le mercredi 7 novembre à 17h30 dans la salle Nadine Labaki, au Salon du livre de Beyrouth 2018. Elle sera suivie d’une signature de l’ouvrage sur le stand de l’IFPO.
« L'Orient-Express, témoin critique d'un entre-deux-guerres »
« L'Orient-Express aura été, en 27 numéros mensuels publiés de 1995 à 1998, une expérience brève et unique de journalisme peu conformiste. Menée par Samir Kassir, ses complices intellectuels de longue date et son équipe de jeunes désireux de refaire le Liban, cette aventure a permis d'analyser et d'éclairer les multiples facettes de la société libanaise comme de son contexte régional dans la période dite de la « reconstruction ». Dans un Liban instable, L'Orient-Express a offert une manière de voir nouvelle, inédite et libre d'esprit à une génération de l'après-guerre qui cherchait ses repères. À l'occasion de l'entreprise de numérisation du contenu de la revue, cette rencontre permettra à tous ceux qui ont connu L'Orient-Express et à tous ceux qui, encore jeunes à l'époque, en ont juste entendu parler, de se replonger dans L'ambiance de cette aventure marquante de l'histoire culturelle et du journalisme du Liban contemporain ».
Vendredi 10 novembre à 16:30 - Espace Agora
Intervenants
Carmen Hassoun Abou Jaoudé
Journaliste de L'Orient-Express, politologue, chercheure associée au CEMAM-USJ et chargée de cours à l'Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK).
Médéa Azouri
Collaboratrice de L'Orient-Express, éditorialiste à L'Orient-Le Jour, rédactrice en chef de Noun et animatrice à Radio Nostalgie.
Omar Boustany
Journaliste de L'Orient-Express et directeur de création publicitaire.
Charif Majdalani
Collaborateur de L'Orient-Express, écrivain, professeur à l'Université Saint-Joseph.
Modératrice
Roula Abi Habib Khoury
Lectrice de L'Orient-Express, sociologue, professeur à l'Université Saint-Joseph et directrice du Centre d'études sur le monde arabe moderne (CEMAM-USJ).
Avec la crise naissante en toile de fond, la pensée de l'apôtre du vivre-ensemble a été longuement honorée par les intervenants. « Nous rendons hommage à Samir Frangié dans une atmosphère de veille du 14 Mars », a déclaré le ministre de l'Éducation Marwan Hamadé.
Il régnait une atmosphère particulière au Salon du livre de Beyrouth samedi, suite à la démission inattendue du Premier ministre Saad Hariri. Conscients de la gravité de la situation, les intervenants ont rendu hommage à la mémoire de l'un des artisans de l'intifada de l'Indépendance, Samir Frangié, disparu en avril 2017, en évoquant la nécessité d'un dialogue permanent face aux épreuves à venir. Le modérateur Antoine Courban a ouvert la séance de témoignages en rappelant « qu'il n'y a de place que pour le vivre-ensemble ». M. Courban a notamment abordé le projet inachevé de Samir Frangié pour « une Méditerranée du vivre-ensemble », soumis à Beyrouth au président français François Hollande, qui en avait accepté l'idée.
Les prises de parole se sont succédé autour de la table composée du ministre de l'Éducation Marwan Hamadé, de l'ambassadeur Bruno Foucher (représenté par Véronique Aulagnon de l'Institut français du Liban), du journaliste Jean-Pierre Perrin et de l'ancien ministre Tarek Mitri. Rappelant l'héritage légué par l'intellectuel engagé pour l'émancipation du Liban, Marwan Hamadé a salué « l'instigateur de la lutte pour un État fort, juste et démocratique ». « Nous rendons hommage à Samir Frangié dans une atmosphère de veille du 14 Mars », a-t-il déclaré, en précisant que « si Samir Frangié est bien l'apôtre du vivre-ensemble, à aucun moment il n'a été l'adepte de la reddition des valeurs libanaises, souverainistes et arabes ».
Samir Frangié était sceptique face au compromis du 31 octobre 2016, qui avait abouti à l'élection de Michel Aoun à la présidence de la République. « Nous étions de ceux qui, avec Samir, avions de gros doutes. Néanmoins, nous pensions qu'il fallait donner une chance à cet arrangement, mais nous ne savions pas encore à quel point il allait être un marché de dupes au cours duquel le Liban a continué à s'enfoncer. Samir Frangié savait que le chemin de Damas allait mener à Téhéran », a-t-il expliqué sans ambages, concluant « qu'à un moment où toutes les guerres possibles menacent le Liban, l'esprit de Samir persiste ».
Artisan des idées progressistes
Pour le grand reporter Jean-Pierre Perrin, Samir Frangié était « une personnalité de feu, le volcan était en lui et c'est ce volcan qui l'a toujours poussé à dire non à la tyrannie et oui aux causes justes », parlant d'un homme « toujours dans la modération et jamais dans l'insulte ». Évoquant la mémoire du journaliste assassiné Samir Kassir, M. Perrin a cité Bernanos en saluant en Kassir et Frangié des hommes qui abhorraient la tiédeur. « Samir Frangié avait la pureté du diamant et les diamants ne meurent jamais », a-t-il conclu sous les applaudissements.
Le directeur de l'Institut Issam Farès, Tarek Mitri, n'a pas tari d'éloges lui aussi pour son ancien compagnon de route. « Samir Frangié s'est attardé sur les vicissitudes du communautarisme. Il a toujours privilégié l'appartenance citoyenne aux droits communautaires qui ouvrent la voie à la corruption », a-t-il souligné. « Il incarnait ce lien entre la libanité et l'arabité, avec sa solidarité avec les Palestiniens pour leur indépendance et plus récemment avec les Syriens dans leur lutte pour la liberté. »
La seconde table ronde
Cet hommage s'est poursuivi par une table ronde autour du livre La Révolution tranquille, avec l'ancien député Farès Souhaid, les professeurs Gilbert Achkar et Ziad Majed, ainsi que le psychanalyste Chawki Azouri. L'ouvrage, réalisé par notre collègue Michel Hajji Georgiou, est composé de quarante textes et retranscriptions de discours de Samir Frangié sur la période 1993-2017. M. Hajji Georgiou a expliqué que « ce livre n'est pas un hommage à la mémoire de Samir Frangié ; sa publication prouve que ses idées sont profondément d'actualité ». Il a également donné lecture de l'article-testament de Frangié, rédigé sur son lit d'hôpital au début de l'année, et qui appelle à une refondation du Liban sur de nouvelles valeurs, dont l'empathie.
Pour le psychanalyste Chawki Azouri, « Samir était rebelle, un insoumis permanent ». Revenant sur l'actualité et les troubles politiques, M. Azouri a soutenu que « le régime syrien a toujours fonctionné selon la formule du pervers, en ne respectant pas l'accord de Taëf et en se substituant à la loi. Samir Frangié disait "Modérés de tous les pays, unissez-vous", et cela a toujours du sens aujourd'hui ».
« Cet homme a marqué ma vie et mon parcours politique », a lancé pour sa part l'ex-coordinateur des forces du 14 Mars, Farès Souhaid, dans un hommage émouvant. « Samir prenait plaisir à réunir des adversaires, parfois des ennemis, prônant toujours l'échange interhumain. Il avait compris la complexité libanaise. » M. Souhaid a énuméré les différentes étapes pour le rétablissement de la souveraineté du Liban auxquelles Samir Frangié a contribué, avec la visite au patriarche Sfeir le 19 septembre 2000 (la veille du fameux manifeste de Bkerké), le rassemblement de Kornet Chehwane en 2001, la réconciliation de la Montagne avec Walid Joumblatt la même année, l'Appel de Beyrouth en 2004 et la révolution du Cèdre en 2005. « Après le retrait des troupes israéliennes en 2000, Samir Frangié a conclu qu'il était temps de demander le retrait des troupes syriennes, le retrait de l'une devait automatiquement déboucher sur le retrait de l'autre », a rappelé M. Souhaid.
La question communautaire
Samir Frangié soutenait que le passage vers l'individuation passe par l'examen de soi et l'autocritique. « Épris des valeurs de libération, de démocratie et d'émancipation, il a ensuite converti ses valeurs dans une philosophie chrétienne », selon le chercheur et écrivain Gilbert Achkar, qui a adopté une attitude critique vis-à-vis de certaines étapes du parcours de Frangié.
M. Achkar a rappelé que « le 14 Mars est arrivé par une conscience individuelle des Libanais, et aujourd'hui nous en sommes à un repli communautaire identitaire », soulignant que « les grandes victoires ne se font jamais à partir de victoires communautaires ».
Concernant l'appel de Samir Frangié à un passage de la tribu à la citoyenneté (celui-ci parle d'une paix prenant aussi en compte les communautés), Gilbert Achkar a estimé que, pour lui, « la détribalisation consiste à laisser la religion au vestiaire : il faut créer une conscience nationale qui dépasse toutes ces appartenances. Aujourd'hui, nous faisons face à deux problèmes, l'Iran et le royaume saoudien, sources de désastre et contradictoires avec les idéaux de la laïcité ».
Les 3 luttes de Samir Frangié
Pour le politologue Ziad Majed, qui a lui aussi été l'un des artisans du 14 mars 2005, « Samir était un mélange entre la sérénité et la détermination ». « J'ai connu trois moments de la vie de Samir Frangié. Premièrement, sa volonté de changer les choses et d'affronter l'hégémonie du régime syrien au Liban. À partir de 1998, la société civile essayait de s'exprimer contre une classe politique associée au régime par opportunisme. Deuxièmement, la période où il parlait de la construction d'un État moderne dans le pays. Un État qui aurait le monopole de la violence et des armes, afin d'arriver un jour à la véritable citoyenneté. Ce processus a été enclenché avec la Rencontre du Bristol et l'assassinat de Rafic Hariri. Le soulèvement pour l'indépendance du 14 mars 2005 a alors vu le jour. Le troisième moment est la renaissance, avec l'espoir suscité par les révolutions arabes. Samir Frangié a accompagné ces milliers de personnes qui ont voulu marcher contre le régime barbare d'Assad face à un monde devenu désormais complice », a expliqué M. Majed.
Si l'absence de Samir Frangié se fait ressentir sur le plan national, selon tous les intervenants, il n'en reste pas moins que son esprit était bien présent, bien vivant, samedi au Salon du livre, à travers ses proches, ses compagnons de route et ses initiatives.
Inauguré par la ministre française de la Culture, Françoise Nyssen, et son homologue libanais, Ghattas Khoury, représentant le Premier ministre Saad Hariri, ainsi que par le ministre de l'Éducation nationale, Marwan Hamadé, représentant le président Michel Aoun, et le député de Beyrouth, Atef Majdalani, représentant le président de la Chambre, Nabih Berry, le 24e Salon du livre francophone de Beyrouth a ouvert grandes ses portes, hier, aux amoureux des livres et de la langue de Molière. Mais aussi aux amateurs de débats, d'échanges d'idées, de cinéma, de poésie et de performances... même culinaires. Un Salon intitulé, cette année, « En hommage à Samir Frangié », et dédié à la mémoire du grand intellectuel engagé, qui maniait avec brio la pensée politique et la langue française, le dialogue national et la culture humaniste.
L'art de mêler les mondes...
« Organisé par l'Institut français du Liban, en partenariat avec le syndicat des importateurs de livres et le soutien de très nombreux partenaires, dont BankMed », a rappelé la directrice de l'Institut français du Liban, Véronique Aulagnon, cet événement se tient au BIEL jusqu'au 12 novembre. Il offre cette année « un choix incomparable de titres faisant honneur à l'édition francophone et l'actualité politique, culturelle et artistique », a indiqué le président du syndicat des importateurs de livres Maroun Nehmé. « Des auteurs nombreux, d'origines et d'appartenances diverses, appuient par leur présence cette manifestation unique en Orient, qui permet d'exercer une liberté d'expression portée par la langue française. (...) Notre francophonie libanaise, confrontée à un environnement hostile, est aux frontières des religions, des cultures et des politiques. La francophonie au Liban, portée par la passion du libraire, est l'art de mêler les mondes », a-t-il ajouté.[Advertisement]Ouverture et réconciliation nationale
Dans son mot de circonstance, le ministre de la Culture a commencé par mettre l'accent sur le rôle de la lecture, « qui est l'ouverture des hommes sur le monde ». À ce titre, il a rappelé la priorité accordée, dans le plan quinquennal de son ministère, au soutien à l'écriture et la création, ainsi qu'à l'aspiration à éliminer la censure de toutes les formes de productions culturelles... Ghattas Khoury a, par ailleurs, rendu un vibrant hommage à la mémoire de Samir Frangié, en évoquant avec émotion « l'homme politique qui a servi la cause en laquelle il croyait tout au long de sa vie (...) ; l'homme des prises de position fermes sans être extrême ; l'homme qui a tissé les bases de la réconciliation nationale ».
Émotion également de la part de son homologue française, Françoise Nyssen, une habituée de ce salon en tant que directrice des éditions Actes Sud et qui se retrouve aujourd'hui en mission officielle. « C'est un grand honneur, une grande fierté pour la France de prendre part à l'organisation de ce salon, qui raconte beaucoup de nos deux pays. Il raconte la passion littéraire qui nous unit. Il incarne notre ouverture au monde, quand ce monde est traversé par les crispations identitaires, les échos nationalistes. En dédiant cette édition à la mémoire de Samir Frangié, vous renforcez encore ce message. Ce salon dit aussi, évidemment, l'amitié qui nous lie (...). Une amitié enracinée, grâce aux liens les plus puissants, les plus féconds et les plus résistants qui soient : les liens culturels. Une amitié singulière et sensible : faite d'admiration et de fascination réciproques; nourrie par des siècles d'échanges, par les séjours croisés de nos penseurs et de nos écrivains. Une amitié qui prend sa source au plus profond de nos identités : dans la langue française que nous avons en partage », a-t-elle noté.
Héritage et nouvel élan
« Cet héritage sert de socle à l'ambition que nous avons pour la francophonie, celle de lui donner un nouvel élan. (...) Nous présenterons, dès 2018, une série d'initiatives. J'y travaille aux côtés du président de la République et du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères », a ajouté Françoise Nyssen. La ministre française, qui souhaiterait « pouvoir œuvrer au renforcement de la francophonie à travers quatre leviers privilégiés : les échanges, le numérique, les activités culturelles à l'école et la communication », s'est dit également « mobilisée pour nourrir le dialogue entre la France et le Liban à travers une autre langue : celle de la traduction ». « Si nous défendons la francophonie à travers le monde, ce n'est pas par velléité hégémonique, mais parce que nous croyons aux vertus du plurilinguisme. Ce n'est pas ici que j'aurais besoin de convaincre. Sur ce point, la France a tant à apprendre du Liban », a-t-elle relevé.
Évoquant la mise en place d'un programme de développement de la traduction entre l'arabe et le français, Mme Nyssen a rappelé que « le Liban est déjà un partenaire majeur de la France dans ce domaine : près des deux tiers des cessions de droits pour la traduction de livres français vers la langue arabe sont signées avec des éditeurs libanais. Nous pouvons faire davantage encore, et notamment de l'arabe vers le français ».
Citant un passage du discours d'Amin Maalouf à son entrée à l'Académie française, la ministre française a conclu son allocution en assurant de son soutien « toutes celles et ceux, écrivains, artistes, citoyens, qui veulent saper le mur qui s'élève entre les cultures en Méditerranée ».
MOMENTS FORTS
À signaler, deux moments forts axés sur la figure centrale de cette 24e édition du salon : ce soir, à l'Agora, à 16h30, des politiques et intellectuels rendront hommage à Samir Frangié (Marwan Hamadé, Tarek Mitri, Jean-Pierre Perrin et Antoine Courban). Suivra à 18h un débat autour de la révolution tranquille de Samir Frangié, lequel réunira Farès Souhaid, Gilbert Achkar, Ziad Majed et Chawki Azouri, ainsi que notre collaborateur Michel Hajji Georgiou.
Si l'individu ne prend pas conscience de son entité propre, s'il ne parvient pas à se définir indépendamment d'un seul groupe d'appartenance, il réduira ses identités plurielles à une seule, les confondra avec celle du groupe prédominant, celui-ci étant, au Liban, la « tribu » communautaire et/ou partisane.
Pour celui qui fut l'un des artisans de l'accord de Taëf, libérer l'individualité, sans menacer l'équilibre communautaire des pouvoirs, en empêcherait néanmoins la perversion. Le contrat social qui a mis fin à la guerre de 1975, plus que d'avoir redéfini cet équilibre institutionnel entre communautés, en a déterminé une nouvelle légitimité fondée sur le respect du vivre-ensemble.
Partant, un pouvoir qui se fonde sur les « identitarismes » au nom de cet équilibre l'enfreindrait. Il provoquerait une régression du système social vers la violence et le rejet de l'autre, vers l'implosion ou le règne des autoritarismes. Dans le même temps, tant que les individus se confondent avec le groupe au pouvoir, ils se privent de toute capacité à en évaluer la légitimité.
Le vivre-ensemble est donc autant l'affirmation d'une volonté commune de dépasser les violences et de bâtir un État de droit que la reconnaissance d'une responsabilité de l'individu dans la mise en œuvre de cette volonté.
La décision n'est pas de coexister dans la contrainte, mais de bâtir des liens autour de projets nationaux communs. Le premier projet de cette nature a été le combat pour l'indépendance du Liban, qui s'est achevé – en principe – au printemps 2005. C'est là que Taëf trouvait sa première chance d'être compris. C'est là que, pour Samir Frangié, l'intifada de l'Indépendance devait céder la voie au travail pour une démocratie pacifiée. Mais la marginalisation de la société civile, le cœur battant de la révolution du Cèdre, a empêché l'amorce de ce travail. Ce qui a conduit Samir Frangié, jusqu'à son dernier souffle, à appeler à la nouvelle intifada, qui serait celle de la paix.
Aussi bien l'une que l'autre intifada suivraient le schéma de ce qu'il avait nommé « la révolution tranquille ». Titre d'une allocution prononcée à l'Université Saint-Joseph, le 18 janvier 2001, dans la foulée de la déclaration des évêques maronites de septembre 2000, cette expression a été choisie pour titrer une compilation de textes dont il fut l'auteur de 1993 à 2017, rassemblés par notre collègue Michel Hajji Georgiou, et publiés aux éditions L'Orient des livres. L'ouvrage compte un peu plus d'une quarantaine de textes, qui englobent, outre de nombreuses allocutions, des articles et entretiens publiés notamment dans Le Monde, Le Monde édition Proche-Orient, Esprit, Travaux et jours, L'Orient-Le Jour et L'Orient littéraire.
Regroupés en deux parties, la première sur « l'Intifada de l'Indépendance », la seconde sur « l'Intifada de la paix », ces textes retracent la phase qui va de la fondation du Congrès permanent pour le dialogue libanais, par Samir et ses compagnons au début des années 90, jusqu'à l'appel de Beyrouth pour une Méditerranée du vivre-ensemble, au lendemain du massacre du Bataclan, dernier appel de Samir Frangié à un éveil citoyen, par-delà la lassitude et l'inintelligible montée aux extrêmes.
Même pour ceux qui sont familiers de sa pensée, ces textes éclairent sur la démarche à suivre, au niveau individuel, pour parvenir à une autonomisation, et donc au renforcement du pouvoir d'influence du citoyen. L'opposé de la violence n'étant pas tant la paix que la création de liens avec l'autre, selon Samir Frangié, l'individu doit faire l'apprentissage de la culture du lien. Et c'est comme un guide d'émancipations très intimes qu'il fournit au lecteur : pionnier du travail de mémoire national, l'individu doit accepter sa propre violence comme prélude au dépassement des stigmates de la guerre, éviter de basculer dans la diabolisation de l'autre, quel qu'il soit, ne pas céder à la tentation du repli... « L'émergence ou l'absence de citoyenneté devient donc fonction de la maturité de chacun », constate M. Hajji Georgiou dans son avant-propos. Telle est la clef de l'individuation.
Cette citoyenneté ayant connu sa première expression moderne en 2005, Samir Frangié nous apprend à la développer. Avec cela qui lui est particulier de toujours valoriser ce que les Libanais ont entrepris jusque-là, avant d'indiquer ce qu'il leur rest à entreprendre.
Au Salon du livre, l'hommage sera donc rendu à la pensée de Samir Frangié, par laquelle se perpétue la révolution du Cèdre – pour reprendre en substance la préface de Marwan Hamadé, publiée dans la dernière édition de L'Orient littéraire. Une rencontre prévue aujourd'hui à 16h30 apportera les témoignages croisés de Bruno Foucher, Jean-Pierre Perrin, Marwan Hamadé et Tarek Mitri, modérée par Antoine Courban, sur l'homme, le politique et l'intellectuel engagé pour et à travers l'autre. Cet hommage sera suivi d'une table ronde à 18h, autour du livre La Révolution tranquille, avec Farès Souhaid, Gilbert Achkar, Ziad Majed et Chawki Azouri, modérée par Michel Hajji Georgiou.
16h30, Agora :
Hommage à Samir Frangié
Avec Ambassade de France, Jean-Pierre Perrin, Marwan Hamade, Tarek Mitri, Antoine Courban (mod.)
18h00, Agora :
Table ronde autour de La Révolution tranquille de Samir Frangié
Avec Farès Souhaid, Gilbert Achcar, Ziad Majed, Chaouki Azouri, Michel Hajji-Georgiou (mod.)
19h30, salle 1 :
Rencontre autour des Âmes simples de Pierre Adrian
Avec Pierre Adrian, André Bonet (mod.)
20h30, lib. Orientale :
Signature de Les Âmes simples
19h30, Agora :
Table ronde autour des livres Les Vies de papier de Rabih Alameddine et Soudain, la liberté de de Caroline Laurent
Avec Rabih Alameddine, Caroline Laurent, Georgia Makhlouf (mod.)
20h30, lib. Orientale :
Signature de Les Vies de papier
20h30, lib. Antoine :
Signature de Et soudain, la liberté
Dimanche 5 :
16h30, Agora :
Table ronde autour de la gastronomie
Avec Noha Baz, Bernard Thomasson, Farouk Mardam Bey, André Bonet (mod.)
17h30, Virgin :
Signature de Les Fantômes du 3e étage, L'Histoire à la Carte et 42km195 par Bernard Thomasson
18h00, Salle de projection :
Table ronde « Édition et traduction »
avec Bruno Foucher, Bertrand Py, Emmanuel Varlet, Gina Abou Fadel Saad, Farouk Mardam Bey (mod.)
19h30, salle 1 :
Table ronde « Espace public : espace de dialogue »
avec Jad Tabet, Mehdi Ben Cheikh, Youssef Tohmé, Nayla Tamraz (mod.)
Lundi 6 :
18h00, salle 2 :
Tabel ronde « La Palestine et le monde »
Avec Jean-Paul Chagnollaud, Leila Chahid, Elias Khoury, Farouk Mardam Bey, Ziad Majed (mod.)
19h00, lib. Antoine :
Signature de Israël/Palestine : la défaite du vainqueur par Jean-Paul Chagnollaud
Mercredi 8 :
18h00, Agora :
Table ronde autour de De l'ardeur : Histoire de Razan Zaitouneh, de Justine Augier
avec Justine Augier, Jean-Pierre Perrin, Farouk Mardam Bey, Ziad Majed (mod.)
19h00, Virgin :
Signature de De l'ardeur : Histoire de Razan Zaitouneh, avocate syrienne par Justine Augier
19h00, Orientale :
Signature de Le Djihad contre le rêve d'Alexandre par Jean-Pierre Perrin
19h30, salle 2 :
Rencontre autour de L'Orient dans tous ses états et Les Crises d'Orient d'Henry Laurens
Avec Henry Laurens, Christine Babikian Assaf, Carla Eddé
20h30, Orientale :
Signature de L'Orient dans tous ses états et Les Crises d'Orient
Jeudi 9 novembre :
18h00, salle 1:
Table ronde autour de Soie et Fer : du Mont-Liban au canal de Suez, de Fawwaz Traboulsi
Avec Fawwaz Traboulsi, Gilbert Achcar, Élias Khoury, Farouk Mardam Bey (mod.)
19h, L'Orient des Livres:
Signature de Soie et fer par Fawwaz Traboulsi
19h30, Agora :
Table ronde autour « La traduction dans la fiction »
Avec Jabbour Douaihy, Stéphanie Dujols, Gina Abou Fadel Saad, Farouk Mardam Bey (mod.)
Vendredi 10 :
18h00, Agora :
Rencontre autour du Manuscrit de Beyrouth de Jabbour Douaihy
Avec Jabbour Douaihy, Amal Makarem, Farès Sassine, Josyane Savigneau (mod.)
19h, L'Orient des livres :
Signature du Manuscrit de Beyrouth par Jabbour Douaihy
19h30, Agora:
Table ronde « Aux origines du mal arabe » autour des livres de Bachir el-Khoury et Gilbert Achcar
Avec Bachir el-Khoury, Gilbert Achcar, Farouk Mardam Bey (mod.)
20h30, L'Orient des Livres:
Signature de Monde arabe : les racines du mal par Bachir el-Khoury
20h30, lib. Antoine:
Signature de Symptômes morbides : la rechute du soulèvement arabe par Gilbert Achcar
Samedi 11 novembre :
18h00, salle 2:
Rencontre autour de Mimosa d'Alexandre Najjar
Avec Alexandre Najjar, Josyane Savigneau (mod.)
19h00, lib. Antoine :
Signature de Mimosa
19h30, salle 1:
Rencontre autour de Maronites dans l'histoire de Youssef Mouawad
Avec Youssef Mouawad, Valérie Azhari, Dima Zein de Clerck (mod.)
20h30, L'Orient des livres :
Signature de Maronites dans l'histoire par Youssef Mouawad
Dimanche 12 novembre :
18h, Stand du ministère de la Culture :
Annonce du Prix Phénix par Alexandre Najjar
L'amphithéâtre Gibran du Biel, où avait lieu la cérémonie d'ouverture de la 23e édition du Salon du livre francophone de Beyrouth, grouillait de monde. Entourant les deux ministres français et libanais de la Culture, Audrey Azoulay et Rony Arayji, l'ambassadeur de France Emmanuel Bonne et le président du syndicat des importateurs de livres, Maroun Nehmé, une foule d'officiels, de personnalités politiques, diplomatiques, culturelles et sociales était venue participer au lancement de cette grande fête annuelle du livre et de la francophonie. Une inauguration qui semblait avoir, cette année, une envergure renforcée. Peut-être parce qu'elle coïncidait avec la fin d'une longue période de vide constitutionnel. Peut-être aussi à cause de la présence, pour la première fois, d'un invité d'honneur. En l'occurrence le grand écrivain Salah Stétié, « tout à la fois pleinement français et pleinement arabe et libanais », comme l'a signalé Audrey Azoulay. Ou encore, à cause des adieux et des annonces que véhiculaient les discours prononcés par les ministres libanais et français de la Culture. Ainsi, dans son allocution de circonstance, Rony Arayji a rendu hommage et remercié, quasi nommément, l'ensemble des partenaires de cet événement qui, « pour la première fois, accueille un stand du livre arabe dans une belle démarche d'ouverture et de partage », a-t-il dit.
Et d'ajouter : (...) « Je me réjouis de constater que le Salon du livre francophone de Beyrouth, qui est l'un des plus importants de l'espace francophone, prend chaque année de l'ampleur. Sa fréquentation croissante confirme la volonté du Liban d'aller à la rencontre de la différence dans ce même élan qui fonde la coexistence de ses communautés. » Le ministre sortant, qui quitte ses fonctions « l'esprit serein, fort du sentiment du devoir accompli », a insisté sur la préservation de la langue française, qui « incarne la spécificité du Liban dans son environnement », a-t-il affirmé.
Des mesures de soutien à la traduction et aux libraires
Mme Azoulay a, pour sa part, été très applaudie lorsqu'au nom du président et du gouvernement français, elle a rappelé « la solidarité de la France avec le Liban ; l'extrême attention qu'elle porte à la défense de sa souveraineté ainsi qu'à son modèle très particulier de liberté, pluralité et convivialité ».
Se réjouissant du thème de ce Salon, placé cette année sous le signe du « Lire ensemble », en référence au fait qu'il accueille aussi des éditeurs arabophones, la ministre française a assuré que « la francophonie n'est jamais aussi forte que lorsqu'elle est ouverte aux autres et aux autres langues. Cette francophonie plurielle, curieuse, moderne, il nous appartient de la construire ensemble. (...) Si ce Salon se tient au Liban, ce n'est pas un hasard. Le Liban est un pont indispensable pour le livre francophone tourné vers le monde arabe. Pour autant nous n'ignorons pas les difficultés qui touchent les éditeurs et libraires. Pour cette édition 2016 du Salon, j'ai donc souhaité qu'une aide supplémentaire soit accordée pour accompagner les libraires présents aujourd'hui », a-t-elle déclaré.
Elle a également annoncé « de nouvelles mesures concrètes en faveur du renforcement du soutien de la France aux libraires francophones partout dans le monde, et des aides renforcées à la traduction dans l'espace du bassin méditerranéen, entre sa rive nord et sa rive sud (...), soit du français vers l'arabe soit vice versa. (...) Parce que la traduction est un maillon indispensable pour la circulation des mots et des idées. Et qu'elle est la condition nécessaire du dialogue entre les peuples, de la lutte contre l'obscurantisme, le déni de l'histoire et les clichés meurtriers. Parce que les mots que nous lisons forment l'imaginaire collectif, il nous faut plus que jamais soutenir les auteurs et la diversité de leurs points de vue. Et je sais qu'au Liban, ce message de la diversité est compris, revendiqué, vécu et partagé », a-t-elle conclu.
« Un soutien d'autant plus précieux dans un Liban en pleine mutation où les métiers du livre sont sérieusement menacés », a estimé Maroun Nehmé. « Une francophonie ouverte n'est pas une francophonie identitaire. Ensemble, si vous le voulez bien, nous la ferons évoluer », a-t-il lancé aux présents. Comme une promesse...
Organisé par l'Institut français du Liban en collaboration avec le syndicat des importateurs de livres, ce 23e Salon du livre francophone de Beyrouth se tient au Biel jusqu'au dimanche 13 novembre. Consultez le programme sur le site : www.sdlivrebeyrouth.com
Le livre de Lamia Ziadé montre dans un récit dessiné le paysage social et artistique du siècle dernier entre Le Caire, Beyrouth, Damas et Jérusalem. Zeina Abi Rached raconte Beyrouth à travers l'histoire illustrée de son arrière-grand-père, inventeur d'un piano capable de jouer les quarts de tons.
Les deux lauréates recevront leur prix de la Bank Audi d'ici à deux mois.
Ceux qui connaissent Amal Makarem de près ont exprimé cette facette dans les termes les plus éloquents mardi dernier, au Salon du livre francophone, lors d'une table ronde qui a réuni des personnalités qui l'ont accompagnée dans quelques-unes de ces « bribes de vie » qu'elle raconte dans son ouvrage.
Publié aux éditions L'Orient des livres, Paradis infernal est une sorte d'exutoire, un voyage initiatique à travers la mémoire, même fragmentaire, qu'elle a fini par apprivoiser à titre personnel, après avoir perdu l'espoir de le faire collectivement. Ayant milité des années durant pour propager la culture d'une « mémoire pour l'avenir », une mémoire guérisseuse après la guerre civile, elle y renoncera, momentanément (?). Dans l'intervalle, elle avait été choquée par la destruction, trois semaines après son édification, d'une structure sur laquelle devaient être gravés les noms des victimes de la guerre. Le projet était signé par la fondation Mémoire pour l'avenir qu'elle présidait.
« La mémoire sert à penser. Penser pour préserver l'humanité qu'il y a en chacun de nous », écrit déjà Amal Makarem dans son discours inaugural lors d'un colloque qu'elle avait organisé sur le même thème, à la Maison des Nations unies, en 2001.
C'est finalement à partir de ses notes éparses, consignées en partie sur des rouleaux thermiques, qu'elle décide de ressusciter dans Paradis infernal une partie de ce passé qu'elle avait enfoui puis retrouvé « dans une boîte à chaussures ».
« Le passé, écrit-elle dans sa préface, est dans ce journal comme il est dans ma tête, et peut-être dans celle de bien de gens, semblable à une étoffe rongée par les mites. »
Parallélisme désespérant
« C'est un journal perdu, retrouvé, fragmentaire, portant essentiellement sur les années 1975-1976, ou le début de la guerre du Liban, souligne le critique et essayiste Farès Sassine, en présentant l'ouvrage. En elle, j'ai revu après bien des années (...) cette indomptable et quasi irrésistible désir de tout dire. De raconter le malheur pour faire le deuil, de crier le désarroi pour maîtriser sa colère. De pardonner sans oublier. »
« Elle écrit le passé, un certain passé, pour l'avenir », enchaîne l'ancien ministre Ziyad Baroud. L'histoire répétitive accablante d'un Liban qui peine à cicatriser ses blessures lui donnera raison. « En lisant son journal du 26 avril 1975, on lit l'actualité d'aujourd'hui même. Comme si rien n'a changé », dit-il en citant le passage relaté par l'auteure sur cette période : « L'impasse politique est telle que le gouvernement ne peut ni démissionner ni se réunir. » Parallélisme cinglant, presque désespérant.
Amal Makarem se demande encore et toujours : « Quel avenir construire, alors que le déni entretient un projet latent de violence, consacrant d'une part l'arrogance des chefs de guerre et leur impunité, et d'autre part le désarroi des victimes et leur exclusion ? »
C'est à la nouvelle génération que l'auteure semble également vouloir s'adresser, espérant lui transmettre le virus de cette mémoire salvatrice susceptible de l'extirper de l'oubli létal. Le témoignage de Toufic Safie, qui avait cinq ans lorsque la guerre s'est terminée, n'en est que plus expressif. « Le témoignage d'Amal, dit-il, est indispensable surtout pour les générations de l'après-guerre, à commencer par la mienne, qui, à défaut d'une connaissance de la guerre, n'entretiennent que les versions de leurs propres communautés façonnées toujours en victimes ou héros. Versions qui, au fil des générations, et par ces dernières, se transforment en mythes, qui, tout en se radicalisant (et se ridiculisant), nous endiguent toujours un peu plus dans nos communautés respectives. »
Il ajoute : « C'est comme si les mots d'Amal venaient remplir les pièces manquantes d'un puzzle que j'ai toujours cherché en vain à compléter. »
« Électron libre »
Publié « contre des résistances internes familiales et communautaires », l'ouvrage n'en révèle pas moins les multiples facettes d'une personnalité rebelle qui ne s'est jamais départie de son élégance princière.
« Amal, c'est à la fois l'intégrité, la pureté, ce qu'elle appelle " la constante obsession du politique ", et j'ajouterai de la justice, de la mémoire de la vérité, souligne Farès Sassine. C'est aussi une légèreté qui la rend toujours glissante, fantomatique, insaisissable. »
L'ancien ministre et député Marwan Hamadé, qui l'a connue dès sa plus jeune enfance, enchaîne : « Amal, c'est un électron libre. On pouvait l'imaginer avec le mandil druze, mais seulement aux enterrements. Sans renier ses origines, elle ne s'était jamais laissée encombrer par elles. »
Les conventions, elle en faisait fi, même en politique, où elle a toujours forgé ses choix dans sa compassion pour l'autre, pour l'homme, pour une citoyenneté éclairée, mais jamais dans le dogme. « Elle ne s'était jamais laissée ligoter par les traditions et n'a jamais accepté l'autorité patriarcale, familiale et même politique », dit encore Marwan Hamadé qui se souvenait d'elle, il y a 25 ans déjà, comme étant « le prototype de ce que serait la femme libanaise des lendemains ».
« En désaccord avec tout et tous, notamment avec la communauté druze dont elle est issue, et au camp politique (la gauche) auquel elle adhère, complice aussi avec eux », assure Farès Sassine.
Les articles d'Amal Makarem, du temps où elle enfilait sa casquette de journaliste engagée, sont « toujours d'actualité, aussi bien dans le domaine constitutionnel que dans le domaine de l'environnement », commente l'écrivain Alexandre Najjar, en référence aux écrits de l'auteure de Paradis infernal il y a quelques années, dans le supplément du quotidien an-Nahar consacré aux droits des citoyens.
« Ce qui impressionne dans Paradis infernal (...), c'est cette capacité à atteindre l'universel en partant des confessions les plus intimes, note M. Najjar. Il nous dévoile la guerre dans toute sa crudité, dans toute sa cruauté, et nous ouvre les yeux sur l'absurdité d'un conflit de 15 ans, qui perdure dans une forme larvée et dont nos dirigeants n'ont tiré malheureusement aucune leçon. »
Et Marwan Hamadé de rendre hommage à l'auteure pour « avoir écrit un livre que nous n'avons pas écrit, d'avoir tenu un journal que nous n'avons pas tenu, et, en définitive, d'avoir transmis avec beaucoup de sincérité des sentiments que nous n'avons toujours pas su ni dompter, ni réguler, ni contenir ».
« Merci d'avoir osé le pari », conclut Ziyad Baroud.
Marlène Kanaan décrit passionnément, à en perdre ses mots, le « verbe de ce génie à l'élan vital démesuré ». D'où la difficulté de traduire sa poésie. « À cause de lui, dit-elle, la forme, la pulsion et la métrique de la langue arabe, jadis si figées, en furent à jamais révolutionnées. »
Les récitations que font Nada el-Hage et Yara Bou Nassar, en arabe et français, d'extraits de l'œuvre de « ce poète si universel puisque si singulier », selon Kanaan et Douaihy, sont un hommage ultime mais surtout un instant d'éternité.
Sa pensée rôde dans une arène locale (le café, la rue, le Nil...) où il choisit ses héros. Le lecteur arabe, jusque-là écarté des textes littéraires, se reconnaît dans ses écrits réalistes et minutieux. Les illusions et les espoirs de la société égyptienne gagnent, grâce à lui, une dimension planétaire : la faiblesse de l'homme face au vice, le passage du temps destructeur, la défense de la liberté et de la justice... ont des résonances universelles.
Son style est si facile à lire, bien qu'il négocie un constant aller-retour entre le parler populaire et l'arabe littéraire, propose des trames dramatiques élaborées et provoque des surprises au détour de chaque phrase.
Paradoxes encore et toujours : Naguib Mahfouz, fondamentalement sédentaire, nourrit un sentiment d'exil tenace et déchirant. Maître de la langue, il s'exprime par son silence. En bref, cet Égyptien intrinsèque a été la « conscience de son temps ».
Le prix Phénix 2012 a été attribué à Wajdi Mouawad pour Anima (Actes Sud). Créé en 1996 et décerné comme chaque année au Salon du livre francophone de Beyrouth, il récompense une œuvre littéraire écrite en français par un Libanais ou écrite par un écrivain francophone et ayant trait au Liban. Ce même prix a été décerné en 2011 à Samir Frangié pour Voyage au bout de la violence.
(L\'Orient-Le Jour 06.11.2012)
La lutte de l’évêque grec-catholique au nom de l’homme comme finalité absolue, telle que décrite par Michel Touma dans sa biographie de Grégoire Haddad, s’aligne sur la mouvance du printemps arabe... et redonne goût au militantisme en vue du changement.
« Être militant face aux réalités. » Ce thème a fondé le débat au Salon du livre, samedi soir, autour de l’ouvrage biographique écrit par notre collègue Michel Touma sur « Grégoire Haddad, évêque laïc, évêque rebelle ». Déjà, l’ouvrage en soi apporte des réponses concrètes sur le mode d’action et de pensée du militant, à travers l’exemple du père Grégoire et de son action au nom de « l’amour du prochain ». Parmi ces réponses, puisées dans le portrait du prélat : la sérénité dans la foi, complémentaire de la volonté même de « briser les tabous »; la mise sur pied d’un mouvement social fondé sur la participation des laïcs et des religieux au service de l’autre; la perception de l’homme comme seule valeur où s’exalte le divin.
Ainsi, le sociologue Saoud el-Mawla commente l’article « Libérer le Christ », que le père Grégoire publiait dans la revue Afaq le 15 mars 1974, afin d’établir le parallèle entre l’approche de ce dernier et « la pensée théologique de libération ». D’abord, « l’emploi du terme libération, comme mot-clé, indique le processus libératoire en Jésus-Christ, dans l’histoire ». Un autre élément, inhérent à l’action du père Grégoire : « L’entrée du pauvre dans le champ de la théologie, qui ne se confond plus avec les vérités de la foi, mais tend vers la libération du pauvre et de l’opprimé. » Dans ce sens, « la notion de l’autre n’est pas celle de l’autre non chrétien, mais de l’autre non humain, car il est marginalisé ». Le dialogue islamo-chrétien n’est qu’un élément du dialogue profondément humain prôné par l’évêque. C’est à travers cela, enfin, que « la libération chrétienne devient un dépassement des injustices socio-économiques, toujours par le biais du salut par le Christ », conclut le sociologue chiite.
Les esprits sont-ils prêts pour un « autre » Liban ?
Cette approche rejoint le « vivre-ensemble » et « la culture du lien » décrits par Samir Frangié dans son essai Voyage au bout de la violence, présent en force l’année dernière au Salon du livre. Cette année, le débat autour de la biographie de Grégoire Haddad a réuni près de 300 personnes, venues écouter les intervenants, parmi lesquels l’ancien député. Comme si cette idée « d’homme-dieu » (à reprendre l’expression de Luc Ferry) intégrait petit à petit la réflexion portée sur la paix civile au Liban. « L’idée qui habitait cet évêque rebelle et sous-tendait son action était qu’un “autre” Liban était possible », affirme Samir Frangié. Et « pour que cet autre Liban devienne une réalité », il fallait d’abord « substituer aux solidarités claniques et communautaires de nouvelles solidarités basées sur l’échange et le don », tout en redéfinissant la portée même de la religion, à laquelle « il fallait ôter sa dimension identitaire, porteuse de toutes les violences ».
L’enjeu est de « revenir à l’essence du message évangélique : apprendre aux hommes à vivre en paix et permettre l’émergence d’une citoyenneté fondée sur l’individu ». Seule l’assimilation et la pratique de ce message est apte à neutraliser « la dérive tribale qui a fait de l’État un champ ouvert aux luttes communautaires », surtout après les événements de 1958. Or, si dans la pratique Mgr Haddad « tente de freiner cette “descente aux enfers” en prônant une “laïcité globale” », son discours est mal perçu, voire répudié par les institutions et leur base populaire tant il remet en question la fusion de l’individu avec la communauté à laquelle son identité est réduite. « Les esprits ne sont (alors) pas prêts à un tel changement », constate Samir Frangié.
Revenant sur la décision du synode melkite, en août 1975, de démettre l’évêque de ses fonctions, « une décision qui a été un choc pour toute une génération qui avait cru au changement », il en conclut que « les autorités religieuses, pas plus que les autorités politiques, n’étaient prêtes à agir pour tenter de désamorcer les tensions qui s’accumulaient, annonçant la guerre ».
Michel Hajji Georgiou : du « néant intellectuel »
Si aujourd’hui le combat de Grégoire Haddad épouse la mouvance du printemps arabe, où l’individu « commence à retrouver son autonomie », comme le décrit Samir Frangié, peu de choses présagent d’une maturation au Liban, de 1975 à aujourd’hui. Modérant le débat, notre collègue Michel Hajji Georgiou revient en effet sur l’agression contre Mgr Haddad en 2002 par trois jeunes devant les locaux de Télé-Lumière à Jounieh. De cet incident, M. Hajji Georgiou retient deux éléments. D’abord, « la position adoptée quelques jours plus tard par les autorités spirituelles locales de la communauté concernée : Mgr Haddad devait cesser d’exposer ses “vues théologiques car elles ont besoin de maturation et de connaissances approfondies” pour être assimilées ». Autrement dit, « Grégoire Haddad devait se taire, et avec lui, ses idées transgressant les tabous du conformisme social et communautaire, donc politique, donc capables de dévoyer les fidèles ».
Michel Hajji Georgiou s’attarde sur l’agression en soi, symptomatique du monolithisme durement ancré dans les esprits. « Ces trois hommes qui ont agressé Mgr Haddad, pour des propos qui les ont probablement traumatisés, assument une fonction symbolique, souligne-t-il. Car derrière le dogmatisme amoureux de sa propre vérité, il y a le néant intellectuel et culturel. » Le lynchage devient « confrontation symbolique (...) entre l’identitarisme holiste malade de l’autre et de lui-même, sous l’une de ses incarnations les plus brutes et les plus élémentaires, et une culture humaniste fondée sur la finalité de la personne humaine, la valeur individuelle et la dignité humaine, celle-là même défendue aujourd’hui par le pape Benoît XVI », ajoute Michel Hajji Georgiou.
Que cette approche soit préconisée aujourd’hui par le Vatican n’ébranle pas outre-mesure l’establishment religieux chrétien avec lequel « discuter de Grégoire Haddad, c’était comme discuter de Raymond Eddé, Maurice Gemayel ou Hamid Frangié avec l’establishment politique chrétien actuel, ou de Mohammad Mehdi Chamseddine avec l’establishment politico-religieux chiite », relève M. Hajji Georgiou. Mais « la gêne et les contorsions de circonstances, immanquablement au rendez-vous » lorsque ces noms sont mentionnés, trahissent en elles-mêmes le mensonge qui phagocyte la pensée libre du citoyen, ajoute-t-il.
« En définitive, à quoi cela a-t-il servi ? »
Cette réalité sous-tend la question que Michel Touma a plus d’une fois entendue de la part du père Grégoire lors de leurs entretiens successifs, pendant un an, pour la préparation du livre. « Qu’est-ce qui reste, en définitive, aujourd’hui de ce que j’ai fait ? » Cette question, rapportée par Michel Touma au début de son allocution, personnifie l’humilité du père Grégoire, dont Samir Frangié relève d’ailleurs « la modestie et la bonté, deux valeurs qui n’ont malheureusement plus cours dans les temps actuels, mais qui sont au fondement des temps à venir ». Mais cette question incarne surtout l’ardeur de la lutte. « Face aux réalités cruelles et violentes qui emportent tout sur leur passage, la question qu’il s’est posée est en définitive, à quoi cela a-t-il servi ? »
À cela, une réponse positive a rejailli spontanément de l’audience, lorsque plusieurs personnes présentes ont pris successivement la parole pour évoquer les associations qu’ils représentent : ECDAR, formée par des vétérans du Mouvement social, ce dernier n’ayant par ailleurs jamais cessé d’être actif ; l’AFEL, l’AEP et l’IRAP dont le père Grégoire a été le parrain.
En outre, Michel Touma insiste sur l’imminence de renouveler « la démarche intellectuelle et les réalisations du père Grégoire ». Non seulement parce que « le printemps arabe constitue un point crucial où des choix de société doivent être faits », mais parce qu’il s’allie parfaitement à « l’action sociale initiée par le père Grégoire et qui était perçue sous l’angle non pas caritatif, mais du développement socio-économique global qui plaçait l’homme, dans toute sa dimension, au centre de toute action ». Si l’action sociale avait, dans les années 60, « initié des centaines de jeunes volontaires à la culture citoyenne », la jeunesse se trouve devant des bouleversements régionaux qui devraient incarner ses aspirations au changement, souligne Michel Touma. À l’heure où les peuples arabes « sortent de leur hibernation », ajoute-t-il, la pensée et l’action des jeunes devraient se déployer, sans toutefois se dissocier « de l’autocritique, la critique radicale et constructive, contre tout ce qui risque d’entraver l’épanouissement de l’homme ».
(L\'Orient-Le Jour 05.11.2012)
Par Lamia SFEIR DAROUNI et Nidal AYOUB (AFEJ)
Salon du livre de Beyrouth « ...Et le gagnant est : “La Rue des voleurs”, de Mathias Enard ».
Le spectacle est inhabituel : côte à côte, les membres de la prestigieuse Académie Goncourt avec à leur tête la présidente, Edmonde Charles-Roux et 16 jeunes étudiants de 18 universités arabes, se prononcent sur « Le Choix de l’Orient » en matière littéraire. Beaucoup de clivages sont tombés : les différences de cultures certes, mais aussi, et non des moindres, l’âge qui ne compte plus. La parole est à la démocratie ! Note d’humour au tableau : Pierre Assouline commente le communiqué du jury. Il l’estime « lumineux » et demande qu’on le lui dédicace.
La Rue des voleurs ne fait pas partie de la sélection du Prix Goncourt de mardi et pourtant, les membres de l’académie sont convaincus par les arguments des jeunes universitaires : la finesse psychologique du personnage, la dimension humaniste du message et la simplicité du style, autant d’ingrédients qui remportent les suffrages. Mais c’est surtout la primauté de la liberté par rapport aux liens familiaux qui a fait pencher les cœurs de ces jeunes vers l’ouvrage d’Enard.
Parce qu’il est « déboussolé », le héros du livre représente ces jeunes du « printemps arabe ». Maya Khadra, présidente du jury de l’USEK, souligne que « Lakhdar prône un nouvel humanisme arabe. Il est en quête d’une identité qui nous manque et dont nous avons vraiment besoin. Une identité qui est en péril à Damas et qui, au Liban, serait un assaisonnement à ajuster ». Un avis partagé par une étudiante de l’Université Aïn Chams d’Égypte : « Le roman revêt une dimension universelle puisqu’il évoque le déchirement identitaire dont souffre tous les jeunes du monde en quête de liberté. »
« Enard place la liberté plus haut que la religion », affirme une autre étudiante égyptienne pourtant bien voilée. Nous en avons marre des intégrismes arabes. Nous voulons la liberté à tout prix. Cet humanisme se résume dans le livre : “Je suis ce que j’ai lu ”... Nous ne voulons pas être les ouailles d’une religion ou d’une autre. »
Une étudiante de l’Université islamique de Beyrouth confirme le choix du livre lauréat : « Notre choix s’est fondé non sur le critère politique, mais surtout sur le facteur humain. »
Et lorsque un membre du jury estudiantin avance le « vœu » qu’un auteur d’origine arabe puisse figurer bientôt sur la liste des gagnants du Goncourt, Tahar Ben Jalloun intervient : « Un livre ne s’impose pas selon la nationalité ou le sexe de l’écrivain. C’est un choix strictement littéraire. »
Les discussions reprennent. La représentante de l’Université Jinan de Tripoli commente la fin du roman : « C’est une fin ouverte. Elle est au printemps. Tous les espoirs sont permis. » Son intervention ne fait pas l’unanimité. À l’Université Saint-Joseph, cette fin a créé une polémique : « Le héros a résolu la violence par la violence. Ce n’est pas une fin ouverte, mais un cercle fermé. La violence perpétue la violence. » Bien que ce héros soit un « antihéros », de l’avis d’une étudiante de l’Université libanaise, « nous nous identifions à lui. Nous vivons nous aussi dans un labyrinthe ! » Un commentaire de plus : « Lakhdar n’a pas fait un crime. Il a tué son pendant lâche, pris dans l’engrenage de l’endoctrinement. Ce n’est pas de la violence ! »
Pierre Assouline est admiratif du niveau de la langue et de la culture françaises de ces jeunes étudiants. Il loue leur capacité critique qui l’ « épate », leur lucidité, leur niveau de culture et de langue. Leurs « engueulades » aussi ! Autre cause qui suscite son étonnement amusé : le seul représentant du genre masculin était un étudiant de l’Université de Mossoul en Irak. « Quelle joie pour vous d’être le seul jeune homme parmi quinze femmes du jury ! » lui dit-il.
« Le livre d’Enard correspond bien à la sensibilité et à la finesse de l’Orient. C’est un conte que Shéhérazade aurait pu ajouter à ses mille et un récits ! » admet Didier Decoin.
Tahar Ben Jalloun apprécie le choix « formidable » des étudiants. Et Pivot d’ajouter en souriant : « Enard a déjà obtenu le prix des lycéens l’an dernier, celui des étudiants aujourd’hui. Il progresse en âge. Peut-être obtiendrait-il le Prix Goncourt des seniors l’an prochain ! »
Pour l’an prochain justement, le jury des étudiants espère la présence des représentants des universités de Palestine et de Syrie. Une pensée sincère est adressée à tous ces jeunes qui ont choisi de « résister encore et toujours par la culture ».
Le critique littéraire Iskandar Habache, à l’initiative de qui ce prix a été créé, est ému : « Ces jeunes m’ont appris à lire avec amour et non pas avec des préjugés. Et c’est de l’amour dont on a besoin dans le monde arabe. Pas de la violence. » Message entendu à... Gaza et à Damas.
(L\'Orient-Le Jour 01.11.2012)
Ils sont apparus comme une bande d’amis un peu taquins, un brin râleurs, mais passionnés de lecture et grands amis des libraires. Six académiciens Goncourt, emmenés par leur présidente Edmonde Charles-Roux, en visite au Salon du livre francophone, ont annoncé hier, depuis Beyrouth, le carré final de ce prestigieux prix littéraire décerné le 7 novembre.
Les académiciens Tahar Ben Jelloun, Didier Decoin, Pierre Assouline, Bernard Pivot et Régis Debray, y compris leur présidente Edmonde Charles-Roux, 92 ans, sont arrivés lundi au Liban et repartiront demain jeudi pour une visite qu’ils qualifient eux-mêmes « d’acte de foi dans le Liban et dans le livre, pour ce pays qui a vu la naissance de l’alphabet latin ». « C’est un geste de profonde amitié, surtout après les derniers bouleversements tragiques, a affirmé Charles-Roux. Au lieu de nous décourager à venir, nous sommes venus plus vite et plus nombreux... Rien ne peut nous séparer de vous, de votre pays », a ajouté la présidente de l’Académie Goncourt.
Sur les neuf « couverts » du jury (ils sont traditionnellement dix, mais le siège de Robert Sabatier, décédé en juin 2012, reste vacant pour le moment), seuls Philippe Claudel, actuellement en tournage, Françoise Chandernagor, privée de voyage pour raisons de santé, et Patrick Rambaud n’ont pas fait le déplacement. Mais leurs votes ont été enregistrés en bonne et due forme. Les quatre « survivants » sélectionnés sont donc :
Patrick Deville pour Peste et choléra (Seuil), récit de la vie d’un homme qui a consacré son existence au progrès dans tous les domaines qu’il a explorés, Alexandre Yersin. Cette « leçon d’écriture et de littérature », déjà récompensée du prix du roman FNAC, ferait un successeur idéal à L’Art français de la guerre, d’Alexis Jenni, dont il partage de magnifiques pages sur l’Indochine. Autre favori, Joël Dicker, jeune romancier suisse déjà lauréat du Grand Prix du roman de l’Académie française pour La Vérité sur l’affaire Harry Québert (Fallois). Mais comme l’a rappelé Bernard Pivot, un doublé Goncourt-Académie n’est jamais à exclure : la preuve, Jonathan Littell et Patrick Rambaud l’ont fait, dans le temps.
Également sur la liste : Jérôme Ferrari pour Le Sermon sur la chute de Rome (Actes Sud), magnifique recréation de la tragédie humaine dans un bar corse, et Linda Lê pour Lame de fond (Bourgois) qui lie l’intime au familial et qui permettrait au Goncourt de récompenser à nouveau une femme, trois ans après Marie NDiaye pour Trois Femmes puissantes.
Délibérations et débats
Après ses délibérations tenues à la Résidence des Pins (magnifique demeure de l’ambassadeur de France), le jury s’est rendu à Aïn Mreissé, où il a pris le déjeuner au ras des vagues, sur le site de l’ancien et légendaire café d’el-Izez, devenu par la suite Café d’Orient puis Dirwandi.
Direction le BIEL, ensuite, où se déroule le Salon du livre francophone pour une rencontre avec les « lecteurs libanais » (venus nombreux), au cours de laquelle les six académiciens ont évoqué les quatre ouvrages en lice. Le débat, mené par l’incontournable journaliste Gérard Meudal, a abordé également la « mission » d’un académicien, celle de promouvoir en premier lieu la lecture, mais aussi de participer à la défense des librairies, qui sont les soldats inconnus.
Comme se sont empressés de le souligner les observateurs, il n’y a aucun roman Grasset ni Gallimard dans ce cru 2012, qui fait la part belle à deux petits éditeurs et à deux groupes (La Martinière et Actes Sud).
« Pas une fois nous n’avons évoqué les éditeurs, a même affirmé Pierre Assouline à l’AFP, la question ne s’est même pas posée. »
Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, la présidente du jury a affirmé que les débats ont été très vifs cette fois-ci. Ne voulant pas dévoiler le nom d’un favori, elle a quand même laissé entendre que la « bataille » oppose deux auteurs. Deville vs Dicker, alors ?
Bernard Pivot aurait dévoilé, sur Twitter, ses préférences.
Quant à Pierre Assouline, il a déjà évoqué ses coups de cœur sur son blog.
« Ceux qui croient se lancer dans la lecture d’un grand roman américain relevant du brillant exercice de style finissent par rendre les armes et convenir in fine qu’il s’agit en fait d’un grand roman sur l’Amérique », a-t-il écrit à propos de La Vérité sur l’affaire Harry Québert. Lors du débat au Salon du livre, quatre académiciens ont défendu l’ouvrage de Joël Dicker. Indices ou diversion ?
On ne saura rien avant la semaine prochaine. En attendant, histoire de freiner son impatience, rendez-vous aujourd’hui au Salon à 13h pour la proclamation du prix « Liste Goncourt/Le Choix de l’Orient », en présence de la présidente de l’Académie Goncourt, Edmonde Charles-Roux.
Rappelons que ce prix littéraire, lancé par l’Institut français du Liban et le Bureau Moyen-Orient de l’Agence universitaire de la francophonie, ayant fait participer des étudiants de 13 universités membres de l’AUF issues de 5 pays du Moyen-Orient (Égypte, Irak, Liban, Palestine, Syrie), s’est basé sur la liste de huit finalistes du Goncourt.
L’annonce du lauréat sera précédée bien évidemment par une délibération à huis clos (selon la procédure de l’Académie Goncourt à bulletins secrets), sous la présidence de Hyam Yared, romancière épaulée par le vice-président Iskandar Habache, poète et journaliste, avec les 19 étudiants présidents du jury de leurs universités. Suivra un débat public entre le grand jury étudiant et les membres de l’Académie Goncourt, modéré par Hiam Yared.
(L\'Orient-Le Jour 31.10.2012)
La première, journaliste blessée en Syrie, évacuée et sauvée grâce au courage des combattants, a décidé de poursuivre sa lutte en dénonçant les souffrances et le courage du peuple syrien. La seconde, sociologue de formation, s’est penchée sur cette révolution arabe déclenchée en 2011 à cause du ras-le-bol d’une population qui a voulu se libérer du joug de ses dictateurs.
«Je ne pense pas que ce mouvement est né brusquement du jour au lendemain. Ce ne sont pas des événements complètement inattendus, qui ont secoué cette région du Moyen-Orient qui va de l’Iran au Maroc. Cette région est en ébullition depuis des années. Des ouvriers, des intellectuels, des jeunes en mal avec leur société ont maintes fois essayé de se révolter. Mais à chaque fois, ils étaient fortement réprimés et leurs voix tombaient dans l’oubli», explique la sociologue. Les réseaux sociaux ont-ils été l’arme qui a permis au peuple de se révolter? «Non», répond la sociologue. Mais «oui», réplique Édith Bouvier. Ça fait très longtemps que ces hommes essayaient de se révolter.
À chaque fois leur voix se perdait et leur révolution échouait. Avec les réseaux sociaux, Facebook et Internet, les petites gens de la rue se sont solidarisés avec leurs aînés. Ils ont pu communiquer et faire passer le message. Ils ont pu créer une chaîne que les autorités n’ont pas pu briser. C’est cela qui a permis à ce mouvement de se mettre en marche et de faire boule de neige! Une chose est certaine. «C’est le despotisme, l’autoritarisme de tous ces régimes et la conjoncture économique qui ont poussé ces jeunes à se révolter.» Un trait commun qu’on retrouve dans tous ces pays qui se sont soulevés aux quatre coins de cette région !
« La malédiction » selon Hyam Yared
Cette auteure féministe, qui n’en est pas à son premier ouvrage, raconte la «malédiction» d’être femme dans un pays marqué par la puissance de la virilité, la domination religieuse et le déni des souffrances morales et physiques subies souvent, sans pouvoir les dénoncer.
C’est une littérature singulière qu’il faut écouter. Une littérature «coup de poing» qu’on reçoit «en pleine figure» car elle dénonce ce qui est trivial, elle reflète quelque chose d’authentique, une douleur ressentie, longtemps tue et qu’elle doit extérioriser. Son langage, Hyam Yared l’a voulu «cru et sans détours, car c’est le seul moyen d’avancer dans des choses dont on ne parle jamais». «D’ailleurs, poursuivra-t-elle, c’est le déni de la chose qui me choque plus que ce langage.» Ce roman est l’histoire terriblement vraie de cette femme, Hala, qui doit se battre jusqu’au meurtre, pour se libérer et simplement respirer. Une femme soumise à la dévoration de sa mère dans son enfance, emprisonnée par le déni de son entourage, confrontée à des abus sexuels qu’elle ne peut dénoncer. L’auteure compare l’histoire de cette femme à celle du pays. «À force d’abus, de non-dits et de manque de dialogue, elle a perdu ses repères corporels, tout comme notre pays, qui, soumis à des abus extérieurs sans pouvoir les dénoncer, a perdu son identité et ses frontières.» C’est un ouvrage qui va libérer l’injustice dans laquelle les femmes sont emprisonnées, ces codes religieux qui régissent la vie de l’être humain, condamnant la femme à la toute-puissance masculine. «Au Liban, nous affichons une société qui se veut moderne et libérale. Mais en fait, nous sommes emprisonnées par ces lois religieuses et masculines, archaïques et stagnantes.» Cette femme perdue dans une dévalorisation de son image et de son corps va retrouver sa liberté dans cette littérature et ces mots, qui vont lui permettre de s’exprimer. La Malédiction, un livre fort, vrai, cru, qui a osé casser les chaînes de la soumission, libérer les maux et dénoncer cette sacro-sainte virilité masculine qui régit le destin des femmes de cette région !
Pour Annick Cojean, les femmes, instruments sexuels du pouvoir déchu en Libye
Annick Cojean, grand reporter du Monde, dévoile dans son livre Les Proies (Grasset) une réalité morbide en Libye. Sous le régime de Kadhafi, la femme n’était guère plus qu’une marchandise sexuelle.
Kadhafi se présentait dans un discours en 1981 comme le «libérateur de la femme à qui il voulait donner toutes les chances dans la vie». Or beaucoup de femmes ont subi des atrocités, des viols, mais refusaient de témoigner par peur des représailles et du déshonneur. Cojean rencontre Souraya, 22 ans, qui a été pendant cinq ans l’esclave sexuelle du dictateur déchu, comme tant d’autres. Repérée à 15 ans dans son école, elle fut enlevée de force. C’est la descente en enfer: violée, battue, droguée, elle découvre un univers sordide. Kadhafi utilisait le sexe pour affirmer son pouvoir, non seulement en Libye, mais à l’échelle du continent africain et du monde arabe. Même des femmes européennes étaient « invitées » à Bab el-Azizia. Un réseau de trafiquants lui fournissait les femmes
désirées.
Les Proies, traduit en arabe, sera disponible en Libye au début du mois de novembre. Tollé général en perspective.
Jean-Jacques Rousseau vit... dans les Constitutions
La pensée de Jean-Jacques Rousseau ne cesse de provoquer des remous.
Une conférence à l’Agora a réuni Akram Azouri, avocat à la cour, le Dr Antoine Courban, professeur d’université, et le député Ghassan Moukheiber, en présence de Ruth Flint, ambassadrice de Suisse au Liban. Tous ont insisté sur l’étonnante modernité des idées de Rousseau. Il fut le promoteur de la souveraineté populaire et du refus du pouvoir absolu. Plusieurs Constitutions se sont inspirées de son Contrat social, telles les Constitution américaine et française. Pourtant, on ne manque pas de relever les dérapages sociopolitiques à l’échelle mondiale qui contrecarrent les idées du philosophe : suspension des Constitutions, réélection indéfinie de l’exécutif...
Se référant à Aristote, Antoine Courban devait souligner que «la diversité est la cause et la fin de l’unité». Ainsi, la société doit-elle être régie par la loi, non par l’identité. Pour Moukheiber, «le pacte de vie commune», fondateur de la Constitution libanaise, est l’héritier direct du Contrat social de Rousseau. Et Mme Flint d’insister sur le rapport entre les événements survenant dans le monde arabe et ce même Contrat social. Elle estime que les révolutions arabes sont un écho du conseil donné à Rousseau par son père: «Aime ton pays.»
Lamia Sfeir DAROUNI et Rima HARFOUCHE
Association francophone de journalisme
(L\'Orient-Le Jour 30.10.2012)
C’est dans les locaux de la BankMed que le programme de la 20e édition du Salon du livre francophone a été dévoilé par l’Institut français et ses partenaires. Une programmation qui se déroule du 26 octobre au 4 novembre.
Vingt printemps pour ce Salon, devenu désormais «le rendez-vous incontournable de la littérature francophone», dira Mohamed Ali Beyhum (directeur général exécutif, BankMed) qui recevait pour la treizième année consécutive les organisateurs du Salon ainsi que les différents médias dans les locaux de la banque. Une implication sociale qui se traduit en général par un partenariat actif ainsi que par des activités au niveau du Salon, comme le patronage d’une librairie mobile dans le caza du Chouf ainsi que par la publication et la distribution gratuite d’un livre consacré à l’environnement.
«C’est dans l’échange qu’une langue trouve sa sève et les racines de son épanouissement », dit Aurélien Lechevallier. Cette année, plus que toute autre année le Salon du livre francophone devient un milieu favorable pour le rayonnement de la langue française et par conséquent de la francophonie.
Ainsi il fallait, pour souffler les vingt bougies, un cadeau de taille. Quoi de plus prestigieux que l’Académie Goncourt? C’est avec une grande fierté que le Salon accueillera donc, les 30 et 31 octobre, six membres de l’Académie – Edmonde Charles Roux, Tahar Ben Jalloun, Bernard Pivot, Pierre Assouline, Didier Decoin et Régis Debray – qui délibéreront le mardi 30 octobre pour sélectionner les quatre ouvrages parmi lesquels sera choisi le prix Goncourt décerné à Paris le mardi suivant. Le lendemain ils annonceront et commenteront leur choix devant la presse et le public du Salon, rencontreront le matin les étudiants des universités libanaises et tiendront l’après-midi une table ronde avec les écrivains libanais.
Pour sa part, l’ambassadrice de Suisse, Ruth Flint, s’est déclarée ravie que son pays participe à cette plate-forme dynamique. Le Salon, signale-t-elle, assure la continuité culturelle de Beyrouth qui s’est déjà confirmée avec le temps par les activités du Cénacle. De plus, nous fêtons cette année le 300e anniversaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau et ceci se traduira par de nombreuses activités au Salon. Quant à Salwa Nacouzi, directrice générale de l’AUF/BMO (agence universitaire de la francophonie) elle a voulu expliquer l’événement du choix de l’Orient. Un événement qui confirmera la diversité culturelle de la région du Moyen-Orient. Une idée qui sera reprise par Dan Strenescu (représentant de l’Eunic au Liban et attaché culturel de l’ambassade de Roumanie). «Le Salon du livre francophone, dira-t-il, est en effet devenu un Salon régional.» Le troisième Salon francophone fera rayonner durant dix jours cette culture qui «fait en effet partie de notre identité», dira encore le président du syndicat des importateurs, Georges Tabet. Rendez-vous donc le 26 octobre pour cette fête du livre.
(L\'Orient-Le jour 17.10.2012)
Dans le cadre d’un débat au Salon du livre de Paris, l’ancien ministre Ghassan Salamé a rendu un vibrant hommage à Samir Frangié, analysant son apport à la culture du dialogue et de la paix au Liban.
C’est un hommage sans pareil que l’ancien ministre de la Culture, Ghassan Salamé, a rendu à Samir Frangié dans le cadre de la table ronde organisée à la Foire du livre de Paris autour de l’ouvrage de M. Frangié, Voyage au bout de la violence.
Voici le texte de cet hommage que L’Orient-Le Jour reproduit ici à titre exclusif :
« Qui a donc assassiné la nuance ? Samir a écrit un livre pour répondre à cette redoutable question. Car au-delà des hommes qu’elle tue, des bâtiments qu’elle détruit, du patrimoine qu’elle viole, des villes qu’elle divise, des villages qu’elle éradique ou du vivre-ensemble qu’elle fait partir en fumée, la violence met à mort cette qualité supérieure qu’est la subtilité. Et ça, Samir ne saurait lui pardonner. Voilà donc la victime identifiée, tout comme l’assassin. Restait à raconter le crime, et Samir le fait avec conviction et non sans élégance.
« Un mot sur l’auteur d’abord, même si, le concernant, je ne saurais prétendre à quelque objectivité que ce soit. J’avoue avoir trouvé un gîte sous son toit quand les chars israéliens encerclaient notre capitale, d’avoir goûté à un méchoui trop grillé, et sur son balcon de cuisine pour éviter les balles perdues, d’avoir trouvé quelques maigres sesterces pour imprimer ses photos quand il s’est présenté aux élections, d’avoir lu et parfois coécrit ses innombrables plans pour rétablir la paix civile, d’avoir tenté avec lui de libérer de nombreuses victimes civiles enlevées par des gangs en folie et, incidemment, d’avoir comploté avec lui pendant près de quarante ans pour neutraliser les violents a défaut de pouvoir les transformer en anges.
« Sur ce parcours rocailleux, il y eut quelques moments difficiles où les assassins de la nuance ont réussi à nous rejeter dans la marge et à donner libre cours à leurs kalachnikovs, voire à leurs couteaux de cuisine et, d’autres, plus heureux, où, avec l’aide d’un patriarche malicieux, d’un président d’assemblée subtil, ou d’un entrepreneur converti à la politique, nous avons triomphé des violents. L’un de ces moments heureux porte encore le nom d’un lieu de villégiature en Arabie. Le site y est beau, les constructions plutôt laides, mais l’accord qui y a été scellé a mis fin à une décennie et demie de tueries.
« Une si longue complicité n’est guère propice à l’objectivité, mais elle présente l’avantage de connaître les secrets les mieux cachés de l’auteur. Laissez-moi en divulguer quelques-uns. Contrairement à ce que certains pensent, Samir exerce bien un métier : il est guérisseur et il soigne en particulier les brutes épaisses par un mélange de persuasion et de marginalisation. Et c’est pourquoi son livre de chevet, c’est René Girard et non point Machiavel. Mais comme il est né Frangié, ses patients proviennent surtout de l’ample, très ample, classe politique de son pays. Et s’il lui arrive de chercher une position dans le quasi-État libanais, c’est moins pour perpétuer une quelconque tradition familiale, que pour être encore plus près de ses patients et tenter de les empêcher de commettre de nouvelles bêtises.
« Ce guérisseur rencontre, certes, un succès inégal au vu du nombre important des patients et du fait qu’ils nient trop souvent leur maladie. Mais cela ne l’arrête guère dans ce qu’il considère être une vocation plutôt qu’une profession, car Samir est lui-même atteint d’un mal incurable : un indécrottable optimisme dans la nature humaine. C’est pourquoi son humeur est restée égale le long de son parcours. Modeste dans le succès, il est détaché dans les revers et toujours prêt à se remettre en quête de paix civile. Cette équanimité n’a cessé d’irriter ses amis, mais elle les a aussi toujours stimulés.
« Car Samir n’est pas un non-violent de conviction mais d’instinct. Une église souillée par des tueurs a pu terroriser l’adolescent, un centre-ville dévasté par des milices a pu horrifier le jeune homme, une rechute dans la violence a pu choquer celui qui était devenu un maître d’opinion. Mais ces accès de violence ne faisaient en réalité que conforter des tares congénitales héritées du chêne tombé trop tôt qu’avait été son père : une foi profonde dans la raison, une suspicion enracinée face aux passions collectives et un rejet spontané des méthodes musculaires dans les relations entre les hommes. Le père avait cherché à insuffler des valeurs urbaines dans son village natal connu pour sa rapidité dans l’usage de la gâchette, le fils a dû traiter un pays entier converti aux us et coutumes dudit village. Père et fils auront également mis leurs racines tribales au service d’une patrie à créer et d’une urbanité à établir. Nous leur sommes reconnaissants d’avoir donné, tous les deux, l’exemple d’un tel dépassement des racines dans une geste volontariste qui n’a jamais douté de ses objectifs.
« Mais, pour dépasser, il faut d’abord reconnaître. Samir était trop intelligent pour ne pas voir en face les stries et les clivages qui segmentent son pays et le nôtre. Loin de calquer un modèle pioché dans quelque Duverger ou Burdeau sur une réalité tribale ancestrale, il a reconnu les sillons profonds qui partagent la société et a tenté de les réconcilier. C’est pourquoi la lucidité de l’analyste et le réalisme de l’observateur l’ont toujours emporté en lui sur la facilité dans laquelle d’autres sont tombés en croyant pouvoir traiter le mal en l’ignorant. Samir n’a jamais été compris par certains de ses concitoyens qui fanfaronnaient leurs solutions sans prendre la peine de diagnostiquer d’abord le mal, affichant des remèdes à la clé à des réalités qui n’avaient cure de leurs enfantillages. Mais conscient que les guerres commençaient toujours avec les mots, comme dit l’antique poète, il a considéré les polémiques indignes de sa personne et les a toujours évitées, non sans un brin de mépris pour ceux qui s’y engageaient.
« Car Samir est un curieux, en quête d’idées nouvelles, non de leçons apprises, à la recherche de solutions authentiques, non de pièces rapportées. C’est pourquoi c’est un maître de la conversation plutôt qu’une bête de tribunes, moins adepte des sermons et autres discours que praticien du dialogue. Dialogue, dialogue ! Que de farces n’a-t-on organisées en ton nom! Que n’a-t-on rigolé avec Samir de ceux qui prétendent y aller armés de leurs certitudes et de leurs parti pris. Samir, lui, a toujours su que le dialogue n’était pas un combat avec l’autre, mais d’abord une lutte contre soi-même pour écouter l’autre, pour le comprendre et pour accepter, non seulement de le changer mais aussi d’être transformé par lui. Je connais peu de Libanais qui s’engagent vraiment dans une telle aventure mais, guérisseur qu’il est, Samir sait qu’il ne saurait s’y soustraire.
« À défaut d’en venir à bout de la violence, Samir nous conte un voyage plein d’embûches, une équipée mouvementée, en réalité une épopée sanglante dans un Liban victime de la violence des siens autant que de celle des autres et, plus largement, dans un Orient trop injuste pour être aussi proche qu’on le voudrait. La candeur de l’acteur s’y mêle avec la lucidité du spectateur et ce sont là deux qualités qui deviennent trop rares pour ne pas les mentionner. Mais ce que je retiens de plus attachant dans le parcours de l’auteur autant que dans le récit de l’analyste, c’est cette perméabilité permanente à l’espérance. Dans l’Orient compliqué, Samir vit avec un espoir simple. Cela fait sa force et cela, depuis bientôt quarante ans, nourrit mon admiration et abreuve mon amitié. »
L\'Orient-Le jour 19.03.2012
Le dernier ouvrage de Samir Frangié, Voyage au bout de la violence, unanimement salué partout, l’a encore été jeudi, dans le cadre du 32e Salon du livre de Paris, à la faveur d’une table ronde prestigieuse animée par le journaliste de France Culture Marc Kravetz. Ayant pour thème « Les perspectives de paix au Liban », la table ronde a été organisée par les éditions L’Orient des livres et Actes Sud (grâce aux bons soins de Hind Darwish). Elle a regroupé, à la Porte de Versailles – où se tient le Salon du livre de Paris –, l’ancien ministre Ghassan Salamé, l’éditeur et écrivain Farouk Mardam-Bey, l’écrivain Alexandre Najjar et l’historien Henry Laurens.
Devant une salle comble, cosmopolite et enthousiaste, Samir Frangié a été comme d’habitude bref et lapidaire. Il a ainsi rappelé
qu’« il n’y a pas de paix glorieuse ou de paix des braves, mais rien qu’une paix normale, banale, quotidienne », manifestant – c’est son signe distinctif – de l’optimisme quant à la possibilité de la diffusion d’une culture de paix non seulement au plan libanais, mais à l’échelle régionale, par le biais du printemps arabe.
Nettement plus sceptique, Henry Laurens n’a pas été sans exprimer certains doutes quant à « l’optimisme fondamental » de Samir Frangié, en s’appuyant sur « les récentes bagarres autour du manuel d’histoire unifié dans les rues de Beyrouth ».
Pour Alexandre Najjar, l’essai de Samir Frangié est « salutaire » et « doit servir d’exemple à la nouvelle génération afin qu’elle assimile les erreurs commises par les aînés et qu’elle échappe une fois pour toutes à cette spirale de violence qui a détruit le Liban ».
C’est en tant qu’opposant syrien que Farouk Mardam-Bey s’exprime de son côté pour rendre hommage à Samir Kassir et à son équation qui établit un lien de corrélation entre l’indépendance du Liban et la démocratisation de la Syrie. « J’ajouterais aussi que la démocratisation de la Syrie dépend de l’indépendance du Liban », souligne M. Mardam-Bey. Dénonçant l’inachèvement des États-nations dans la région en raison, pêle-mêle, de certaines formes de libanisme, du panarabisme, du pansyrianisme – ou de « l’ambition et du mythe d’une Syrie intégrale qui regrouperait l’ensemble du Bilad el-Cham et qui n’a jamais existé historiquement » – et du panislamisme, Farouk Mardam-Bey insiste sur la nécessité de « l’établissement de territoires nationaux bien définis et acceptés ». « La question des frontières et de leur respect est extrêmement importante pour des relations saines entre la Syrie et le Liban, fondées sur l’égalité et la réciprocité », dit-il. Et d’ajouter que ces relations saines pourraient accélérer une approche arabiste normale, mais aussi accélérer la mise en place d’un ensemble cohérent à l’échelle régionale et méditerranéenne.
Après le splendide hommage de Ghassan Salamé (voir par ailleurs) à l’optimiste invétéré qu’est Samir Frangié, et qui émeut au plus haut point l’auteur, ce dernier répond du tac au tac : « Je suis malheureusement toujours optimiste. Quand on veut, on peut. Je suis même plus optimiste que jamais à l’instant présent, parce que les perspectives que le printemps arabe ouvre sont immenses, malgré les difficultés. »
Le débat
Et puis, c’est le débat, plutôt bref, par manque de temps. Henry Laurens, le plus chevronné des historiens et des spécialistes du monde arabe, reconnaît « la surprise provoquée par le printemps arabe et l’impossibilité de prévoir l’avenir ». Mais entre l’immense espérance et le retour au réel, Henry Laurens souhaite que ces révolutions marquent un retour vers la normalité, c’est-à-dire vers la décence et la dignité de la vie.
Alexandre Najjar reste lui aussi optimiste, comme Samir Frangié. « Ce n’est que le début, dit-il. La chute du tyran n’est que le début de la révolution. Il est impossible de régler d’un coup de baguette magique toutes les contradictions au sein de sociétés qui ont vécu pendant quarante ans sous le joug de tyrannies. Entre la dictature et l’islamisme, c’est-à-dire entre la peste et le choléra, il y a une troisième voie, démocratique », souligne Alexandre Najjar, en souhaitant que les révolutions arabes ne soient pas toutes inachevées, comme le printemps de Beyrouth l’a été.
C’est d’ailleurs sur ce point que revient Farouk Mardam-Bey, qui souhaite savoir comment les Libanais ont pu passer à côté d’un instant comme celui du 14 mars 2005. « Le système politique est totalement bloqué au Liban, et je ne vois pas dans les déclarations et les programmes politiques les indications d’une issue possible », dit-il, citant, pour expliquer les raisons de ce blocage, la théorie du sociologue Ahmad Beydoun sur la surconfessionnalisation du système libanais, qui ne fonctionnait vraiment que lorsqu’il se trouvait des majorités et des minorités parlementaires vraiment transcommunautaires. Or, depuis 2005, soutient Farouk Mardam-Bey, il existe un monopole de la représentation communautaire par une force politique, ce qui a pour résultat que n’importe quel différend politique bloque le système et le menace d’implosion.
Quant à Ghassan Salamé, il enchaîne, lui, sur le printemps arabe, en craignant qu’il ne comporte en fait « quatre saisons en une seule ». « Ce printemps va s’étendre géographiquement et se prolonger », dit-il, estimant que la phase actuelle est une phase de transition, durant laquelle la qualité des intervenants politiques sera essentielle. Il ne faut donc pas s’attendre à des résultats immédiats, mais à des cycles qui s’étaleront sur plusieurs années.
Et Samir Frangié de boucler la boucle en évoquant « le sentiment d’empathie » entre tous ces peuples arabes et le lien entre « celui qui s’est immolé » (Mohammad Bouazizi) et « celui qui a été immolé » (Rafic Hariri), les deux figures qui ont déclenché les deux mouvements.
La question (au Liban) est de savoir comment renouer avec « ce moment fondateur », souligne Samir Frangié. Il s’agit là, à n’en point douter, de la question que se posent nombre de Libanais aujourd’hui, au lendemain de l’anniversaire du 14 Mars au BIEL.
Au terme de la causerie, Samir Frangié et Alexandre Najjar ont signé leurs derniers ouvrages respectifs.
L\'Orient-Le Jour 19.03.2012
C’est entouré de ses parents, amis et proches, pour cet hommage bien mérité – et depuis si longtemps ! – que Samir Frangié s’est vu décerner hier le prix Phénix 2011 de littérature pour son essai Voyage au bout de la violence, publié fin octobre par les éditions L’Orient des livres. La cérémonie de remise du prix – qui consiste en une médaille en or de la Monnaie de Paris, représentant Orphée, et un chèque d’une valeur de 2 000 euros – s’est déroulée dans la soirée d’hier au siège de la Bank Audi, au centre-ville, dans l’amphithéâtre situé à l’intérieur de cet imposant bâtiment. L’occasion pour un Samir Frangié critique de souligner que « la bataille de la paix ne peut pas être menée aujourd’hui par les forces politiques » traditionnelles actuelles. « C’est à nous, citoyens de ce pays, d’assumer nos responsabilités. Comment ? En redonnant vie à cette révolution que nous avons lancée un jour de mars 2005 (... ) et qui n’a pas été l’œuvre de partis politiques, mais de simples citoyens (...) », a-t-il martelé.
Le prix Phénix 2011 est décerné chaque année à un écrivain francophone par un jury présidé par l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf et composé de grandes plumes, comme Yann Queffélec, Paule Constant, Josyane Savigneau, Daniel Rondeau, Mouna Béchara, Lucien George, Vénus Khoury Ghata, Nicole Avril, Salah Stétié, Jean Lacouture et Jabbour Douaihy. Il a déjà récompensé, entre autres, des écrivains de talent comme Ghassan Salamé, Georges Corm, Dominique Eddé, Samir Kassir, Carole Dagher, Joseph Chami, Fady Stéphan, Charif Majdalani et Richard Millet.
Trois orateurs se sont succédé à la tribune durant cette cérémonie : le PDG de la Bank Audi et du groupe Audi Saradar, l’ancien ministre Raymond Audi, le rédacteur en chef de L’Orient Littéraire, l’écrivain Alexandre Najjar, et M. Frangié lui-même.
Raymond Audi
Prenant la parole, M. Audi a commencé par avouer son « peu d’attirance pour la politique telle qu’elle est surtout pratiquée au Liban », tout en distinguant Samir Frangié du lot, en affirmant qu’« avec lui, nous sommes dans d’autres horizons, toujours plus proches les uns des autres ».
Il a ensuite rendu hommage à M. Najjar pour le rituel qu’est devenu le prix Phénix depuis sa création en 1996, et qui honore chaque année une œuvre et son auteur. « Je suis très heureux de vous accueillir pour la remise du prix Phénix 2011, qui est décerné chaque année par un jury présidé par Amin Maalouf, dont nous saluons l’entrée à l’Académie française, et composé d’éminents journalistes et écrivains libanais et français. Nous soutenons ce prix depuis sa création en 1996 (...) », a indiqué M. Audi.
« Notre banque s’est toujours investie dans la promotion de l’art sous toutes ses formes non par mimétisme – pour suivre l’exemple des grandes institutions qui se dotent de fondations à but culturel ou social –, mais par conviction profonde, a souligné M. Audi. Car le Liban est un vivier de talents qui méritent d’être encouragés et soutenus. Ce rôle de stimulateur, nous sommes heureux et fiers de le jouer, surtout en l’absence de structures étatiques ayant les moyens d’assumer cette responsabilité », a-t-il poursuivi.
Et d’ajouter : « Le prix Phénix s’inscrit naturellement dans le cadre de cette action. Il est attribué cette année à Samir Frangié, qui est à la fois un homme politique et un homme de culture, à l’instar de son père Hamid Frangié, l’une des figures de proue de l’histoire du Liban, et à l’instar de Michel Chiha, Michel Zaccour, Ayoub Tabet, Charles Malek, Charles Hélou, Ghassan Tuéni et Gebran Tuéni, pour ne citer qu’eux, qui conjuguèrent si bien l’action politique et l’écriture journalistique ou littéraire. Son premier essai publié, intitulé Voyage au bout de la violence, paru aux éditions Actes Sud/L’Orient des livres, a connu un franc succès au Liban et sort bientôt à Paris. Il a reçu un accueil enthousiaste de la part de la critique et du public, et plusieurs tables rondes ont été organisées à son sujet », a noté Raymond Audi.
« Au prochain Salon de Paris, un colloque lui est même consacré, a déclaré M. Audi. Lui attribuer aujourd’hui le prix Phénix 2011 est un hommage supplémentaire rendu à un essai remarquable qui nous transmet les idées d’une personnalité qui a toujours su donner un sens à son action et de la hauteur à sa pensée. À travers ce prix, le jury a sans doute voulu saluer une œuvre clairvoyante qui nous ouvre les yeux sur la nécessité du vivre ensemble et nous met en garde contre les risques de nouveaux dérapages. À l’heure où le monde arabe est confronté à des révolutions aux issues incertaines, à l’heure où le Liban continue de stagner, Samir Frangié nous propose un texte rédempteur, fruit de son expérience personnelle, de son analyse et de ses lectures. Nous nous réjouissons que le prix Phénix le couronne aujourd’hui et le félicitons chaleureusement pour ce coup d’essai qui fut un coup de maître ! »
Alexandre Najjar
De son côté, Alexandre Najjar a présenté en quelques mots le parcours professionnel, politique et idéologique particulièrement riche de Samir Frangié depuis près d’un demi-siècle. « Journaliste et chercheur, il a collaboré à plusieurs journaux au Liban (L’Orient-Le Jour, as-Safir et an-Nahar) et en France (Le Monde diplomatique, Africasie) et a participé à la création de plusieurs centres de recherche, dont les Fiches du monde arabe et The Lebanese Studies Foundation, a indiqué Alexandre Najjar. Engagé dans l’action politique, il a fait partie, durant la guerre libanaise, du Mouvement national, puis a participé à la création du Congrès permanent du dialogue libanais et de la Rencontre libanaise pour le dialogue, consacrée au dialogue islamo-chrétien. Membre fondateur du Rassemblement de Kornet Chehwane, il a contribué à jeter les bases de l’opposition plurielle au nom de laquelle il a annoncé, en 2005, l’intifada de l’indépendance, qui a conduit au retrait des troupes syriennes du Liban. Député de 2005 à 2009, il est membre de la direction du mouvement du 14 Mars », a-t-il rappelé.
« Samir Frangié s’est rapidement imposé comme l’un des acteurs majeurs de la vie politique libanaise. Fort de son expérience, il analyse dans l’essai primé les raisons de la violence endémique dont souffre le Liban contemporain. Il évoque la violence sous toutes ses formes : la violence identitaire, la guerre entre les Libanais ; la violence israélienne et le projet d’une alliance des minorités contre la majorité arabo-musulmane ; la violence syrienne – qui se manifeste aujourd’hui en Syrie même – et le projet de la Grande Syrie. Il aborde ensuite l’assassinat de Rafic Hariri qu’il qualifie de meurtre fondateur, puis évoque la révolution du Cèdre qu’il juge, à juste titre, inachevée, ainsi que les récentes révolutions arabes dont les conséquences demeurent incertaines. L’un des thèmes majeurs de l’ouvrage est le vivre ensemble, qui conjugue les deux notions de pluralisme et de citoyenneté et qui postule une nouvelle culture, celle du lien », a poursuivi M. Najjar.
« Ce qui est remarquable dans ce livre, et c’est sans doute cela qui a séduit le jury, c’est la clarté de l’analyse, la profondeur des idées et une grande lucidité, nécessaire sans doute pour évaluer les erreurs et les acquis. Chez Samir Frangié, le ton n’est jamais moralisateur ; il ne s’exprime pas ex cathedra. Il nous parle avec sincérité et nous ouvre les yeux pour mieux penser l’avenir de notre pays. Avec érudition, il puise dans les ouvrages et articles qu’il a lus des exemples édifiants qui enrichissent le lecteur et confortent ses convictions. Samir Frangié a longtemps hésité avant de se résoudre à rédiger cet essai. Ses proches ont tout fait pour le convaincre de l’écrire et il a fini par céder à leurs pressions. C’était peut-être la première fois que cet homme courageux cédait à l’intimidation. Mais quand on voit le résultat, on ne peut que se féliciter de cette faiblesse passagère... », a ajouté l’écrivain, une boutade qui a déclenché un rire général dans l’auditoire.
Et de conclure : « Au nom du jury du prix Phénix, je félicite le lauréat pour cette distinction en espérant une suite à cet essai fondamental par une meilleure compréhension du Liban. Je tiens également à remercier la Bank Audi-Saradar pour son soutien. C’est grâce à elle que nous parvenons encore à honorer des personnalités de la trempe de Samir Frangié et à démentir le funeste proverbe : “Nul n’est prophète en son pays”. »
Samir Frangié
S’adressant à un parterre formé de plusieurs générations de compagnons de route et de différentes formes de lutte, aussi bien dans l’arène politique qu’au sein de la société civile, Samir Frangié a tenu, avec son habituelle modestie, à leur dire merci. « Je tiens à vous remercier pour votre présence ici aujourd’hui, et aussi pour votre présence dans les différentes étapes de ce long voyage au bout de la violence », a-t-il dit, avant de remercier chaleureusement le jury du prix Phénix, ainsi que la Bank Audi, le groupe Audi-Saradar et l’ancien ministre Raymond Audi, puis, enfin, Alexandre Najjar et Hind Darwish de L’Orient des livres, et « sans l’aide desquels ce livre n’aurait pas vu le jour ».
M. Frangié a ensuite asséné un message politique critique dans un silence quasi religieux. « Ce livre est tout d’abord une réflexion sur la violence que nous avons connue, sur sa nature, son fonctionnement, mais aussi et surtout sur notre aveuglement la concernant. C’est aussi le récit d’un long cheminement à la recherche d’une “sortie” de la violence. Mais c’est surtout une invitation à un autre voyage, un voyage à la recherche de la paix. Et cette paix n’est pas un choix que nous pouvons accepter ou refuser. Il n’y a pas de “bonne” ou de “mauvaise” paix. La “paix des braves”, la “paix glorieuse” n’existe que dans les manuels d’histoire. La paix ne peut être que banale, ordinaire, quotidienne, mais elle est une nécessité de vie, ou pour être plus précis, de survie », a-t-il affirmé.
Et de citer ensuite Martin Luther King, dont cette phrase lapidaire s’applique, a-t-il dit, à la situation que nous vivons : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots. »
« À l’heure où le régime syrien qui est responsable, dans une large mesure, de la violence qui a ravagé notre pays est sur le point de s’effondrer, nous nous retrouvons placés devant un choix décisif. Allons-nous relancer nos querelles intestines qu’alimentent les appétits de pouvoir des uns et des autres et les illusions idéologiques de ceux qui pensent avoir le monopole de la vérité, ou bien allons-nous tourner la page du passé et jeter les bases d’un avenir de paix ? » s’est interrogé Samir Frangié.
« À cette question, il n’y a pas aujourd’hui de réponse claire. Les forces politiques sont empêtrées dans leurs contradictions. Les partis du 14 Mars réclament l’instauration d’un État civil dans les pays du printemps arabe, mais prônent, dans le même temps, l’adoption au Liban d’une loi électorale qui consacre le cloisonnement communautaire. Quant aux partis du 8 Mars, ils se veulent l’avant-garde de la lutte en faveur des opprimés partout dans le monde, mais soutiennent, dans le même temps, la plus féroce des répressions contre les opprimés du pays voisin », a-t-il lancé.
Et d’ajouter : « Je ne vais pas dresser ici un inventaire de ces contradictions – elles sont nombreuses –, mais tirer la conclusion que la bataille de la paix ne peut pas être menée aujourd’hui par ces forces politiques. C’est à nous, citoyens de ce pays, d’assumer nos responsabilités. Comment ? En redonnant vie à cette révolution que nous avons lancée un jour de mars 2005 sans savoir qu’elle annonçait le “printemps arabe”. »
« Cette révolution n’a pas été l’œuvre de partis politiques, mais de simples citoyens qui, en brisant les barrières érigées par la guerre, ont redonné vie au pays. C’est cette révolution qui est restée inachevée qu’il nous faut poursuivre pour jeter les bases d’un “autre” Liban, un Liban de paix, et ne plus avoir à refaire ce long voyage au bout de la violence », a souligné Samir Frangié.
Un cocktail a suivi la remise du prix.
L\'Orient-Le Jour 23/01/2012
<span style="\"FONT-SIZE:" 11pt\"="" lang="FR">Le premier Prix des prix littéraires a été attribué le 14 décembre à Limonov d\'Emmanuel Carrère paru chez P.O.L. Cette nouvelle récompense lancée par Pierre Leroy choisit son lauréat parmi les 8 grands prix littéraires de l\'automne : Académie française, Décembre, Femina, Flore, Goncourt, Interallié, Medicis et Renaudot. Limonov a déjà été récompensé par le Prix Renaudot le 2 novembre dernier.
Mots vagabonds et senteurs du langage. À 74 ans, Vénus Khoury-Ghata, qui a noué depuis longtemps une longue et fiévreuse passion avec la poésie, n’en a pas fini d’accumuler les prix pour ses fervents services auprès des dieux du Parnasse. La voilà nantie aujourd’hui d’une nouvelle consécration avec le Prix Goncourt de la poésie 2011 qui vient de lui être décerné.
Du Prix Guillaume Apollinaire au Grand prix Guillevic de poésie de Saint-Malo, en passant par le Prix Mallarmé, Jules Supervielle et le Grand prix de poésie de l’Académie française, les distinctions n’ont pas manqué d’aller au-devant de la plume et de l’inspiration d’une femme de lettres d’origine libanaise et, de surcroît, née à Bécharré, village de Gibran Khalil Gibran, où le vent du lyrisme souffle fort et a des grincements d’aquilon en liberté.
Une vingtaine de recueils poétiques et autant de romans, sans oublier un opus dramaturgique, mais tout cela reste sans conteste de la poésie pour l’auteure de Qui parle au nom du jasmin.
Car Vénus Khoury-Ghata, grande nomade entre les mots, de la fiction à la méditation, demeure constamment en terre de poésie. Sa terre d’élection et de prédilection. Une poésie à l’encre teintée d’un verbe baroque, flamboyant, surréaliste.
Seules les images, les sonorités et les associations verbales ont emprise sur sa phrase à la musicalité à la fois douce et sourde, caressante et drue, intense et ironique. Une poésie entre deux rives (Orient-Occident), entre deux langages (l’arabe et le français). Une poésie qui parle de la vie à travers la mort. Car le traumatisme de la guerre a été marquant pour un être à la sensibilité vive, même si la romancière a fini par s’installer définitivement à Paris en 1972.
On ne laisse pas impunément derrière soi un pays éclaté, une famille et des amis. Le passé est toujours un maillon du présent et du futur. C’est cette expérience douloureuse que traduisent les mots et les vocables faussement délirants de Vénus Khoury-Ghata qui, par-delà la propension à un tragique intense dans la narration, a aussi le sens de l’humour et de la distanciation.
De ses premiers écrits, engagés dans la cause arabe, jusqu’à ses dernières considérations sur les êtres, la vie, l’amour, le quotidien, l’exil, les nuages qui passent, le monde qui change – monde qu’elle écoute et scrute avec une quasi-voracité –, le verbe reste sa harpe préférée. Une harpe dont elle en pince d’ailleurs, sans délicatesse aucune, en toute fantaisie et délectation, les cordes.
Entre paysages brouillés Au Sud du silence et clameurs Des Ombres et leurs cris, entre Vacarme pour une lune morte ou Une maison au bord des larmes, entre Terres stagnantes et Visages inachevés, la prose et la poésie, source commune et rivières entremêlées, sont libres. Elles jettent aux orties, en un élégant artifice stylistique, rigueurs métriques et servitudes des rimes. Elles donnent à l’imaginaire, à la fantaisie et à la fabulation toutes les rênes du pouvoir. Un pouvoir non sans charme.
Ici, sous cette plume à l’encre vagabonde, griffue car en quête de paix, fleurissent roses et romarins, bégonias et basilic, menthe et myrthe, persil et passiflore. Ici se rejoignent morts et vivants, absents et présents, sens du ludique et témoignage faussement frivole.
Comme Colette qui aimait s’entourer de ses chats et de ses confitures tout autant que de ses cahiers d’écriture aux pages par la suite ingénieusement noircies, Vénus Khoury-Ghata reste aujourd’hui avec ses félins, sa cuisine, son jardinage et ses pages à remplir. Car son histoire avec la poésie, comme toute véritable histoire ou conte d’amour, est loin d’être terminée.
(L\'Orient-Le Jour 08.12.2011)
Le Prix Phénix de littérature 2011, créé en 1996, a été attribué cette année à Samir Frangié pour son livre Voyage au bout de la violence, paru chez Actes Sud/ l’Orient des Livres. Le prix sera remis au lauréat en janvier prochain au siège de la banque Audi-Saradar, sponsor du prix.
(L\'Orient-Le Jour 10.11.2011)
- Le Prix Femina, décerné au journaliste et romancier Simon Liberati pour Jayne Mansfield 1967 (Grasset), méditation sur le destin de cette blonde plantureuse, sex-symbol brisé par Hollywood, qui se voulut star, finit en bimbo trash, avant de mourir sur une route à 34 ans, le crâne broyé.
Le Femina étranger est allé à l’Américain Francisco Goldman pour Dire son nom (Christian Bourgois) et celui de l’essai à Laure Murat pour L’Homme qui se prenait pour Napoléon (Gallimard).
« Ce prix est d’abord pour elle, pour Jayne Mansfield », a dit Simon Liberati, interrogé peu après l’annonce du prix. « Je suis d’abord content pour elle qui a eu une féminité très contestée, beaucoup caricaturée, et qu’elle soit couronnée par un jury de femmes, c’est quelque chose qui me touche beaucoup », a-t-il ajouté.
Auparavant, le personnage de son deuxième livre, Nada exist (2007), était un photographe de mode, passé de la célébrité à la dérive. Déjà l’attraction de Simon Liberati pour la déchéance ?
L’auteur s’en défend : « Ce n’est pas la décadence de Jayne Mansfield qui me plaît, mais son énergie. Elle dénichait toujours l’argent pour assurer un train de vie énorme. Elle me fascine depuis mes 17 ans. » « De sa vie, on ne se souvient que de sa mort », dit-il.
Jayne Mansfield s’est tuée dans un accident de voiture le 29 juin 1967, la nuit, sur la route 90 entre Beloxi et La Nouvelle-Orléans. Collision frontale de sa Buick avec un semi-remorque. L’une de ses perruques blondes flottait sur une branche, d’où la légende tenace de sa décapitation.
Loin d’une biographie de star, l’écrivain commence son roman par une description clinique de l’accident. Ce n’est qu’après une quarantaine de pages que le lecteur apprend l’identité de la passagère dont le crâne a éclaté contre le pare-brise.
Sous sa plume, la vedette de La blonde et moi qui se rêvait rivale de Marilyn Monroe reprend vie, par
fragments.
Cette femme au QI de 163 et au tour de poitrine de 107 cm n’a tourné que des navets, collectionné les mariages ratés, a eu cinq enfants de trois pères différents, a plongé dans l’alcool, le LSD et la névrose...
- Le Prix Médicis 2011 a été attribué à Mathieu Lindon pour son excellent roman autobiographique intitulé Ce qu’aimer veut dire (P.O.L.). Journaliste littéraire au quotidien Libération et déjà auteur d’une vingtaine de livres, Mathieu Lindon entremêle dans ce dernier ouvrage sa relation à deux figures paternelles, déterminantes dans sa formation personnelle et littéraire. ll rend hommage à son père Jérôme Lindon, mort en 2001, après avoir fondé et dirigé les prestigieuses éditions de Minuit ; et au philosophe Michel Foucault, décédé en 1984, son ami de près de trente ans son aîné. Parallèlement à ce beau choix, le prix Médicis étranger va à l’unanimité à David Grossman pour Une femme fuyant l’annonce (Seuil) et celui de l’essai à Sylvain Tesson pour Dans les forêts de Sibérie (Gallimard).
- À signaler également que le Prix Goncourt des lycéens 2011 est allé à Carole Martinez pour son Du Domaine des murmures (Gallimard). Le jury était composé de quatre garçons et neuf filles, représentant une cinquantaine d’établissements français et trois de l’étranger (Belgique, Québec et Lycée français de Londres).
(L\'Orient-Le Jour 09.11.2011)
C\'est un premier roman qui remporte cette année le Goncourt, le plus prestigieux des prix littéraires français, celui d\'Alexis Jenni pour L\'Art français de la guerre (Gallimard), fascinante fresque entre Indochine et Algérie qui questionne l\'héritage des guerres coloniales.
Grand favori de ce prix convoité, ce professeur lyonnais de biologie de 48 ans a été préféré \"au premier tour par 5 voix contre 3 à Carole Martinez\", a annoncé l\'un des membres du jury, Didier Decoin. Alexis Jenni l\'avoue humblement, il se considérait jusqu\'ici comme \"un écrivain du dimanche\". Cet agrégé de biologie n\'a pourtant jamais cessé d\'écrire depuis vingt ans, mais \"de petites choses\" restées dans ses tiroirs ou qui n\'ont pas marché.
>>> Lire le portrait de l\'écrivain, \"Un Jenni tranquille\"
Il s\'attelle voilà cinq ans à ce livre, récit d\'aventure et réflexion sur l\'héritage des conflits coloniaux. Son épopée entre Indochine et Algérie achevée, il envoie son manuscrit de près de 700 pages, par la poste, à un seul éditeur, Gallimard, dont c\'est le centenaire et qui flaire aussitôt la révélation de la rentrée. La plupart des critiques sont aussi conquis, et les éloges pleuvent depuis la sortie du livre sur cet amoureux de cinéma, de bandes dessinées et de botanique, qui tient un blog dessiné, Voyages pas très loin.
Loin des premiers romans souvent nombrilistes, L\'Art français de la guerre, au style classique, épique, parfois un peu grandiloquent, est un chant inspiré, baigné de sang et de combats, une méditation sur l\'identité nationale et ces vingt ans de guerres coloniales qui marquent encore les esprits aujourd\'hui. Le roman, très lisible mais exigeant, a déjà été vendu à plus de 56 000 exemplaires. Il devrait bientôt faire beaucoup mieux : un Goncourt se vend en moyenne à 400 000 exemplaires.
>>> Lire la critique du roman, \"L\'Art français de la guerre\", d\'Alexis Jenni : le sale parfum des colonies
>>> Le blog La République des livres de Pierre Assouline, \"Qu\'on se le dise : les prix littéraires font vendre\"
LE RENAUDOT À EMMANUEL CARRÈRE
Le prix Renaudot traditionnellement attribué en même temps que le Goncourt a, lui, couronné Emmanuel Carrère pour son Limonov (P.O.L), portrait du sulfureux Edouard Limonov, idole underground sous Brejnev, clochard à New York, écrivain branché à Paris et fondateur d\'un parti ultranationaliste en Russie. L\'auteur, qui s\'est dit \"extrêmement content\" d\'avoir reçu ce prix, a estimé que cela devait être \"inattendu pour Liminov\". \"Sans immodestie, avec ce livre, j\'ai sans doute aussi fait connaître ce personnage à beaucoup de gens qui ne le connaissaient pas et j\'en suis heureux\", a-t-il ajouté.
L\'écrivain, qui faisait figure de favori pour ce prix convoité, a été choisi par le jury au deuxième tour par six voix contre quatre à Sylvain Tesson pour Dans les forêts de Sibérie (Gallimard). Avant de devenir écrivain, scénariste et réalisateur, Emmanuel Carrère, né en 1957 à Paris, a débuté comme critique de cinéma à Positif et Télérama. Ses ouvrages sont traduits dans une vingtaine de langues.
Limonov existe. Emmanuel Carrère, dont les grands-parents maternels ont fui la Russie après la Révolution, l\'a rencontré à Moscou. Né Edouard Savenko le 22 février 1943, il a 10 ans à la mort de Staline. C\'est lui qui prend le nom de guerre \"Limonov\", tiré du mot qui signifie \"grenade\" en russe. Il a été voyou en Ukraine, idole de l\'underground soviétique, clochard, puis valet de chambre d\'un milliardaire à Manhattan. Ecrivain branché à Paris, soldat perdu dans les guerres des Balkans puis vieux chef charismatique d\'un parti de jeunes desperados, le parti national-bolchevik.
>>> Lire la critique du roman, Carrère et son \"bad guy\"
A l\'annonce de ce résultat, le véritable Limonov a dit ressentir \"une joie méchante\". Refusant de dire ce qu\'il pensait de l\'œuvre d\'Emmanuel Carrère, il a tout de même précisé que ce livre allait obliger \"la société et l\'opinion française qui voulaient que je sois politiquement correct à finalement m\'accepter tel que je suis\".
Le premier roman du fils de l\'académicienne Hélène Carrère d\'Encausse, L\'Amie du jaguar, est publié chez Flammarion en 1983, les suivants sortiront chez P.O.L : Bravoure (1984), La Moustache (1986), La Classe de neige, prix Femina en 1995 puis prix du jury à Cannes en 1997 dans son adaptation à l\'écran par Claude Miller. En 2000, il publie L\'Adversaire, adapté au cinéma par Nicole Garcia, avant Un roman russe (2007) et D\'autres vies que la mienne (2009).
Il a également réalisé deux films, Retour à Kotelnitch en 2003 et La Moustache avec Vincent Lindon et Emmanuelle Devos en 2005. En 2010, il a été membre du jury du Festival de Cannes présidé par Tim Burton.
(LEMONDE.FR avec AFP | 02.11.11)
A l\'issue de la réunion de l\'Académie Goncourt qui s\'est tenue, mardi 25 octobre, il ne reste plus que quatre romans en compétition pour le prix français le plus prestigieux qui sera remis, mercredi 2 novembre, au restaurant Drouant à Paris.
Les jurés ont retenus Retour à Killybegs (Grasset) de Sorj Chalandon, L\'Art français de la guerre (Gallimard) d\'Alexis Jenni, Du Domaine des Murmures (Gallimard) de Carole Martinez et La belle amour humaine (Actes Sud) de Lyonel Trouillot.
Ils ont en revanche éliminé deux titres qui faisaient figure des favoris dans la course au prix, Rien ne s\'oppose à la nuit (JC Lattès) de Delphine de Vigan, prix du roman Fnac et La Délicatesse (Gallimard) de David Foenkinos. Au tour précédent, les jurés avaient aussi écartés deux des romanciers les plus en vue de cette rentrée littéraire : Emmanuel Carrère et Eric Reinhardt.
Pour le 2 novembre, Gallimard a deux fois plus de chance de remporter le trophée que Grasset. Depuis 2000, la maison dirigée par Antoine Gallimard a obtenu le prix Goncourt à quatre reprises, contre deux fois à Grasset sa rivale de toujours. Le romancier haïtien Lyonel Trouillot se trouve placé en position d\'outsider, même si Actes Sud, la maison qui l\'édite, a déjà eu, une fois les honneurs du Goncourt pour Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé en 2004.
Des quatre titres finalistes, seul Retour à Killybegs de Sorj Chalandon est aussi présent dans la dernière sélection du Grand Prix du Roman de l\'Académie française, qui ouvre traditionnellement la saison des prix littéraire d\'automne. Ce dernier prix sera remis, jeudi 27 octobre. Le roman de Sorj Chalandon, ancien journaliste à Libération affronte Les Amendes amères de Laurence Cossé (Gallimard) et Le Ravissement de Britney Spears de Jean Rolin (P.O.L). Si d\'aventure, les académiciens français le récompensaient, cela laisserait la voie libre pour le prix Goncourt à l\'un des auteurs publiés par Gallimard, soit un premier roman, L\'Art français de la Guerre, soit un deuxième roman Du domaine des murmures.
Le jury du prix Femina a par ailleurs publié, vendredi 21 octobre, sa dernière sélection qui comprend cinq romans français, cinq romans étrangers et cinq essais, en lice pour les prix qui seront attribués, mercredi 7 novembre, à l\'hôtel Crillon, à Paris.
Pour les romans français, il s\'agit de :
- Nathalie Bauer, Des garçons d\'avenir (Philippe Rey)
- Colette Fellous, Un amour de frère (Gallimard)
- Alexis Jenni, L\'Art français de la guerre (Gallimard)
- Simon Libérati, Jayne Mansfield 1967 (Grasset)
- Michel Schneider, Comme une ombre (Grasset)
Pour les romans étrangers :
- Duong Thu Huong, Sanctuaire du cœur (Sabine Wespieser)
- Francisco Goldman, Dire son nom (Christian Bourgois)
- David Grossman, Une femme fuyant l\'annonce (Seuil)
- Joseph O\'Connor, Muse (Phébus)
- Alessandro Piperno, Persécution (Liana Levi)
Pour les essais :
- Gérard de Cortanze, Frida Kahlo (Albin Michel)
- Paule du Bouchet, Emportée (Actes Sud)
- Laure Murat, L\'Homme qui se prenait pour Napoléon (Gallimard)
- Pierre Péju, Enfances obscures (Gallimard)
- Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie (Gallimard)
Alain Beuve-Méry
(Le Monde 26 Octobre 2011)
L’écrivain et journaliste Daniel Rondeau, ambassadeur de France à Malte, a posé sa candidature à l’Académie française au fauteuil de Pierre-Jean Rémy dont le successeur sera élu le 8 décembre, a indiqué l’institution.
Si Daniel Rondeau, dont la candidature a été enregistrée au milieu de plusieurs autres, était adoubé par l’Académie, il poursuivrait la tradition du fauteuil 40 puisque Pierre-Jean Rémy, de son vrai nom Jean-Pierre Angremy, avait aussi mené une double carrière de diplomate et d’écrivain.
Né le 7 mai 1948 en Champagne, Daniel Rondeau est ambassadeur de France à Malte depuis le 23 juillet 2008.
Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels des livres d’histoire, des romans, des récits autobiographiques et une série sur des villes. Son premier ouvrage d’histoire publié en 1979, Chagrin lorrain, a été unanimement salué par les spécialistes.
À cette époque, il travaille pour la radio et crée l’émission Mémoires ouverte où il utilise les centaines de témoignages de militants, d’ouvriers et d’immigrés qu’il a enregistrés.
Il a notamment reçu le grand prix Paul-Morand de l’Académie française en 1998 pour l’ensemble de son œuvre, ainsi que le prix des Deux Magots la même année pour Alexandrie.
Journaliste, Daniel Rondeau a dirigé les pages culturelles de Libération avant de devenir en 1985 grand reporter du Nouvel Observateur jusqu’en 1998. De 1998 à 2007, il a été éditorialiste à L’Express.
Il collabore également à Paris-Match et au journal Le Monde. Sa longue interview en 1998 de Johnny Hallyday a fait date, ainsi que celle réalisée en septembre 2010. Le chanteur s’exprimait alors dans la presse pour la première fois depuis son hospitalisation à Los Angeles.
Daniel Rondeau a par ailleurs fondé en 1987 les éditions «Quai Voltaire», consacrées à la littérature et aux voyages, et a dirigé la collection Bouquins aux éditions Robert Laffont de 2004 à 2008.
Marié et père de deux enfants, il est officier de l’ordre des Arts et Lettres et chevalier de la Légion d’honneur.
(L\'Orient-Le jour 25 Octobre 2011)
L’écrivain britannique Julian Barnes s’est vu décerner mardi soir à Londres le Booker Prize, l’un des prix littéraires les plus prestigieux au monde, pour lequel il avait déjà été finaliste à trois reprises, a annoncé la Fondation du Booker Prize.
Cinq autres auteurs – trois Britanniques et deux Canadiens – étaient en lice pour ce prix doté de 50000 livres (80700 dollars, 56700 euros), qui récompense un auteur de fiction de langue anglaise du Commonwealth et de la république d’Irlande.
Julian Barnes, qui faisait figure de favori cette année, a été récompensé pour son roman The Sense of an Ending, l’histoire d’un homme à la retraite replongé dans ses années lycée après avoir reçu la lettre d’un avocat. Un roman sombre qui reprend quelques-uns de ses thèmes favoris, comme la vérité et le passé.
La quatrième fois a finalement été la bonne pour celui qui avait qualifié le Booker Prize de «loterie de snobs» et avait fait trois fois partie des finalistes, avec Arthur et George (2005), England, England (1998) et Le Perroquet de Flaubert (1984).
«Je suis aussi soulagé qu’enchanté», a déclaré l’écrivain après l’annonce de son succès, remerciant le jury «pour sa sagesse et les parraineurs pour leur chèque».
Généralement bien accueilli par les lecteurs et salué par la critique, cet auteur prolifique de 65 ans qui a été traduit en plus de 30 langues est le seul à avoir remporté en France à la fois le prix Médicis, pour Le perroquet de Flauber (1986), et le prix Femina étranger, pour Love, etc. (1992).
Ce dernier roman avait été adapté à l’écran par la réalisatrice française Marion Vernoux et interprété notamment par Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal.
Julian Barnes a aussi reçu, pour l’ensemble de son œuvre, le David Cohen Prize en 2011, un prix bisannuel attribué à un auteur de langue anglaise.
L’écrivain prête sa plume à de multiples genres, le roman, les nouvelles, la critique littéraire notamment pour la revue The New Yorker, ainsi que la chronique, avec Lettres de Londres (1995), recueil caustique sur les années Thatcher et Major.
Il a aussi signé plusieurs romans policiers sous le pseudonyme de Dan Kavanagh, du nom de famille de sa femme Pat morte en 2008 et à qui The Sense of an Ending est dédié.
Passionné par la France, Julian Barnes, qui vit à Londres, a notamment traduit La Doulou, texte de l’écrivain Alphonse Daudet, et a été fait commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2004 à Paris.
Les autres finalistes de l’édition 2011 du Booker Prize étaient les Britanniques Stephen Kelman pour Le Pigeon anglais, A.D. Miller pour Snowdrops et Carol Birch pour Jamrach’s Menagerie, ainsi que les Canadiens Patrick deWitt pour The Sisters Brothers et Esi Edugyan, auteur de Half Blood Blues.
L\'Orient-Le Jour 21 Octobre 2011
Le 18e Salon du livre francophone ouvrira ses portes le 28 octobre, comme de coutume, au BIEL, où il se tiendra jusqu’au 6 novembre. Placé sous le thème des « Mots de la liberté », ce rendez-vous majeur de la vie culturelle beyrouthine s’ancre, cette année, dans une actualité chargée.
Si la forme de cet événement reste la même, avec les rencontres et signatures d’auteurs sur les différents stands des libraires et éditeurs, les conférences, débats et tables rondes, ainsi que les animations diverses (expositions, spectacles, performances et concerts...), le fond privilégie sensiblement, en cette 18e édition, les écrits, les auteurs et les idées liés à l’actualité.
C’est, en teneur, ce qui ressort de la conférence de presse tenue au siège central de la BankMed (principal sponsor) par les représentants des différents partenaires organisateurs de ce Salon du livre francophone de Beyrouth, à savoir: Aurélien Lechevallier, conseiller de coopération et d’action culturelle et directeur de l’Institut français du Liban, Pierre Sayegh, président du syndicat des importateurs de livres au Liban, les ambassadeurs de Belgique et de Roumanie, Colette Tacquet et Daniel Tanasé, ainsi que Mohammad Ali Beyhum, directeur général de la BankMed.
Dans ce Salon devenu, pour reprendre les termes de Mohammad Ali Beyhum, «un véritable carrefour culturel au Proche-Orient», vont se croiser, se rencontrer et échanger entre eux et avec leurs publics des auteurs d’Orient et d’Occident, comme Henry Laurens, Farouk Mardam-Bey, Élias Sanbar, Delphine Minoui, Alexis Jenni, Mazarine Pingeot, Noëlle Châtelet, Hanane el-Cheikh, Samir Frangié, Alain Rey, Élisabeth Roudinesco, Maylis de Kerangal, Maxime Chattam, pour ne citer qu’eux, autour des «Mots de la liberté ». Cet intitulé est le fil conducteur d’un programme qui s’articule, en fait, autour de plusieurs thématiques, dont «Le printemps arabe », «Les chrétiens d’Orient», l’«Environnement» ou encore « Secrets de famille, secrets de l’histoire», qui offrent une occasion privilégiée de témoigner de la faculté libératrice de la parole écrite.
Parmi les sujets qui seront abordés au cours des conférences et débats, on signale : «Mémoire et liberté », «Parole publique dans le monde arabe», «Mouvements sociaux, révoltes et révolutions dans le monde arabe», «Beyrouth et ses urbanistes», «L’actualité en dessin», «L’avenir du français dans un environnement mondialisé», ainsi qu’un débat de jeunes sur la citoyenneté...
130 écrivains
«Cette année, les exposants – au nombre de 58 – sont un peu plus nombreux que l’année dernière, ce qui témoigne d’une dynamique positive avec, notamment, la venue de nouveaux participants, comme la Roumanie», indique Aurélien Lechevallier. «On aura quelque 130 écrivains dont une trentaine invités par l’Institut français du Liban, parmi lesquels des auteurs populaires comme Marc Levy, des auteurs jeunesse, des bédéistes, des essayistes et, bien entendu, des romanciers, à l’instar d’Alexis Jenni, la grande révélation de la scène littéraire en France (son livre L’art français de la guerre est pressenti, semble-t-il, pour le Goncourt), qu’on est très heureux d’accueillir. Et puis, ce 18e Salon du livre de Beyrouth a une coloration originale de par son thème regroupant à la fois des sujets culturels et des enjeux de société qui nous intéressent tous et grâce à la participation très active de la Belgique, qui en est l’invitée d’honneur.»
Belgique, invitée d’honneur
Riche en illustrateurs et auteurs francophones, la Belgique, «fidèle depuis 18 ans à ce rendez-vous annuel de la francophonie au Liban», sera, en effet, à l’honneur cette année. Représentée par la fédération Belgique Wallonie-Bruxelles, elle propose un panorama de son édition à travers 25 éditeurs et plus de 10 auteurs, «dont le documentariste et auteur (notamment d’un ouvrage sur Mitterrand) Hugues Le Paige; l’illustratrice Jeanne Ashbé, qui se préoccupe de l’éveil des tout-petits au dessin et au conte; le dramaturge Régis Duqué, ou encore les maîtres belges de la bande dessinée, les frères François et Luc Schuiten», signale l’ambassadeur Colette Tacquet, ajoutant que «ce dernier, architecte, dessinateur et auteur de la fameuse série Les villes obscures, a, d’ailleurs, signé l’affiche du Salon».
Présentant la contribution de son pays à cet événement (à travers la présence de deux auteurs roumains d’expression française, la journaliste Daniela Zelca et le dramaturge Vlad Zografi), l’ambassadeur Daniel Tanasé a insisté sur le rôle de projet pilote de l’Institut culturel roumain du Liban dans le monde arabe et a annoncé un programme d’activités enrichi dès décembre.
Pour en revenir aux 9 jours de festivités et de manifestations diverses autour du livre, de la lecture et des échanges d’idées...en français, ils comprendront, comme chaque année, des expositions (dont, au stand de l’Institut français, «Gallimard - Un siècle d’édition, 1911-2011» qui retrace l’histoire de l’une des plus prestigieuses maisons d’édition françaises, et «Au cœur de nos forêts», une sélection de photos inédites qui montrent la diversité des forêts du Liban et les dangers qui les menacent), une projection de film documentaire (Le Prince et son image d’Hugues Le Paige), un spectacle (Le chemin de la belle étoile de Sébastien Bertrand, les 29 et 30 octobre, 16h, à l’Agora), une performance créative (de conte et d’illustration avec les frères Schuiten) et des concerts (soirée unique, au Music Hall, du groupe Paris Combo, présenté par L’Orient-Le Jour, et concerts de musique classique, jazz ou d’airs populaires tous les jours à l’Agora, à 16h, offerts par des élèves du Conservatoire national supérieur de musique au Liban).
Il est bien entendu impossible d’énumérer dans ces colonnes la liste complète des auteurs et conférenciers invités, ni même le programme exhaustif des rencontres, débats et diverses activités, qui sont intégralement disponibles sur le site du Salon*. Signalons, toutefois, qu’une réduction de 10% est consentie, comme d’habitude, sur les livres achetés au Salon et qu’une tombola quotidienne, qui se tiendra au stand de l’Institut français, offrira, à raison de 2 tirages par jour, des bons d’achat de livres du Salon.
Du 29 octobre au 6 novembre au BIEL. Horaires d’ouverture : de 10h à 21h.
* www.salondulivrebeyrouth.org
(L’Orient-Le Jour 19 Oct 2011)
Créé à l’initiative de l’Ambassade de France en 1992 et réalisé aujourd’hui en partenariat avec le Syndicat des importateurs de livres, le Salon du livre de Beyrouth est le rendez-vous culturel majeur des Libanais.
Chaque édition attire des dizaines de milliers de visiteurs, une fréquentation qui fait du Salon du livre francophone de Beyrouth le troisième salon francophone, après Paris et Montréal.
Cette manifestation unique accueille pendant dix jours un public enthousiaste et curieux, des professionnels du livre et de nombreux auteurs. Conférences, séances de dédicaces, expositions donnent toute sa convivialité au Salon où le plaisir de la lecture croise la nouveauté et la découverte.
Véritable espace d’échange et porte ouverte sur le Moyen-Orient, il met en valeur la francophonie dans cette région du monde. Il permet aux écrivains de s’exprimer hors des sentiers balisés et de rencontrer un nouveau public.
Cette 18e édition du Salon s’articule autour de plusieurs thématiques, dont « Printemps arabe », « Environnement » et « Secrets de famille, secrets de l’Histoire », offrant une occasion privilégiée de témoigner combien la parole écrite est libératrice.
L’invité d’honneur sera cette année la Belgique, riche en illustrateurs et auteurs francophones,
représentée par Belgique Wallonie Bruxelles.